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particulièrement signalés par leur férocité. Le châh installa aussitôt un divân-i-khânèh ou tribunal pour les juger. Au moment où nous arrivâmes à Ispahan, la justice royale n’était pas complètement satisfaite. Des milliers de victimes accouraient encore pour témoigner contre les coupables ; les femmes racontaient avec une fiévreuse émotion les crimes commis sur elles-mêmes. Les jugemens furent sommaires et les châtimens immédiats. Il semblait que la justice persane eût pris à tâche de lutter de barbarie avec les coupables. Les uns, jetés au milieu d’un peloton de soldats, furent percés à coups de baïonnette ; d’autres eurent les yeux crevés, les ongles arrachés ; plusieurs furent enterrés à mi-corps, la tête en bas, à la file, les jambes sortant de terre et attachées les unes aux autres, de manière à former ce que les persans appelaient des jardins de vignes. L’atrocité ingénieuse de l’exécuteur s’exerça plus cruellement encore sur un chef de ces loutis : après lui avoir coupé le nez, la langue et arraché les dents, il eut l’infernale idée de les lui clouer aux talons ; puis, pour compléter, disait-il sa ressemblance avec un âne, il lui passa au cou un sac plein de paille et l’attacha à une mangeoire. Le malheureux ne mourut qu’au bout de trois jours, dans les souffrances les plus atroces. J’ai vu moi-même des femmes venir, les larmes aux yeux, solliciter du divan la faveur de trancher les mains et la tête de ceux qui les avaient violées. On peut, par ces exécutions, juger du caractère persan. La justice de l’Irân n’est satisfaite qu’autant que le châtiment égale en cruauté le crime qu’elle punit. Les instincts sanguinaires de cette nation ne se révèlent pas seulement dans les crimes de l’assassin ou du voleur, mais dans les arrêts du juge, qui compromet par d’horribles raffinemens le salutaire effet des rigueurs pénales.

Trois jours s’étaient passés depuis notre arrivée à Ispahan ; l’étiquette voulait que l’ambassadeur se présentât devant le châh ; les astronomes avaient été mis en demeure de se prononcer sur l’opportunité du moment où cette cérémonie devrait avoir lieu. Après avoir consulté les astres, ils décidèrent que le quatrième jour, qui était le terme d’usage, se présentait sous de fâcheux auspices, et qu’il fallait en choisir un autre. Cependant, sur les instances de l’ambassadeur, les choses restèrent dans les limites tracées, par les habitudes d’étiquette, et nous dûmes comparaître sans délai devant le châh-in-châh ou roi des rois, devant l’étoile du monde. Des chevaux des écuries royales vinrent nous prendre. Précédés d’une avant-garde de goulâms, de serbâs et de nazaktchis, nous nous rendîmes au camp, où nous fûmes accueillis avec les plus grands honneurs. On nous fit descendre de cheval auprès d’un kiosque qu’on appelle Haïnèh-Khânèh, ou kiosque des Miroirs, situé à côté du palais habité par le châh. Nous y fûmes reçus par le ministre des affaires étrangères, Mirza-Ali, jeune homme de