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reçues dans toutes les villes de la Perse nous attendaient à Djoulfâh. Quand toutes les cérémonies d’usage furent terminées, chacun de nous se retira dans le logement qui lui avait été préparé, et nous en prîmes possession avec la satisfaction de voyageurs fatigués d’une marche de cinq mois qui arrivent enfin au terme de leurs courses.

La présence du châh à Ispahan avait été déterminée par de graves motifs. Ce voyage était une sorte d’expédition militaire contre cette ville, où depuis long-temps il régnait un désordre et une anarchie qui mettaient en péril non-seulement la vie et les biens des honnêtes citoyens, mais encore l’autorité royale. Le grand mouchthaïd d’Ispahan, chef de la religion et de tous les mollahs de Perse, aveuglé sans doute par son importance et fier de ses immenses richesses, avait conçu le projet de s’affranchir de l’autorité royale. Pour réussir dans son entreprise, il avait enrôlé sous sa bannière et soudoyait des bandes de mauvais sujets, de voleurs et d’assassins, venus de tous les coins de la Perse pour se ranger sous le drapeau qui abritait leurs crimes. Ces bandits portaient le surnom de loutis. Ils avaient commencé par chasser la trop faible garnison d’Ispahan, et s’étaient rendus les maître de la ville, dont ils rançonnaient sans pitié les pusillanimes habitans. Prélevant sur tous les marchands des impôts arbitraires le poignard à la main, et saccageant la maison, violant les femmes et les filles des récalcitrans, ces bandits poussaient l’atrocité jusqu’à prendre les maris et les pères de leurs victimes pour témoins de leurs sauvages exécutions. Quatre à cinq mille forcenés faisaient ainsi trembler toute une grande cité. Malgré la puissance redoutée du mouchthaïd, malgré la terreur qu’inspiraient ses sicaires, plusieurs fois cependant des plaintes étaient arrivées aux oreilles du souverain ; mais l’apathique indifférence qui est le propre des gouvernemens orientaux avait retardé l’emploi des mesures vigoureuses que réclamait la déplorable situation d’Ispahan. Pendant plusieurs années, on avait fermé les yeux sur les désordres dont cette ville était le théâtre ; mais le moment était venu où cette attitude passive n’était plus permise. On avait résolu d’en finir, et le châh lui-même s’était mis en campagne pour châtier les misérables enhardis par une trop longue impunité. Les bandes armées du mouchthaïd ayant voulu faire quelque résistance, on avait eu d’abord la générosité ou la faiblesse de parlementer. Ce fut une faute, car une partie de la bande profita du délai qu’on lui accordait pour s’évader. Cependant tous les brigands qui avaient à redouter les suites de leurs méfaits ne quittèrent point la ville, et les plus effrontés ou les plus lents à se sauver étaient encore à Ispahan, quand le roi ordonna des perquisitions dans tous les repaires où l’on supposait que les malfaiteurs pouvaient s’être réfugiés. On en découvrit un certain nombre qui payèrent pour les autres. Parmi ceux-là, il se trouva quelques chefs qui s’étaient plus