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châh, espèce d’exécuteurs de ses volontés ou de hérauts qui assistent près de lui à toutes les cérémonies, et lui forment une avant-garde quand il change de place. Ils étaient vêtus de longues robes rouges traînantes, et portaient sur la tête un turban très élevé formé d’un châle également rouge. Après les saluts d’usage, ils se mirent sur deux rangs, et précédés du nazaktchi-bachi armé d’une longue baguette, ils ouvrirent la marche de notre pompeux cortége.

Après avoir dépassé la première porte, qui n’offre rien de remarquable, nous nous trouvâmes engagés dans une espèce de longue rue plantée d’arbres. Cette rue est bordée de chaque côté de grands murs servant de clôture à des jardins, et au-dessus desquels des vignes, des figuiers, mûris par un printemps précoce, élançaient leurs rameaux vigoureux. De distance en distance, nous passions devant des bassins, mais les grandes herbes qui les envahissaient nous disaient assez que l’eau n’y venait guère. Vers le milieu de cette avenue s’élève une charmante petite mosquée qui me parut être un bijou de l’architecture persane, mais dont les abords semés de décombres produisent une impression pénible. Ce monument délicat et gracieux nous donnait un avant-goût des magnificences de la capitale des Sophis, en même temps que de l’air d’abandon et de ruine qui règne partout dans cette grande ville. Cependant notre cortége marchait toujours, il fallait le suivre, et nous passâmes devant la charmante mosquée avec le regret de ne pouvoir la contempler plus à loisir. Au bout de l’avenue, nous trouvâmes une seconde porte flanquée de deux lions de marbre grossièrement sculptés. C’était là que commençait réellement la ville. Après avoir fait quelques pas dans une demi-obscurité, sous une rotonde où se tenaient quelques serbâs[1], nous entrâmes dans la première rue d’Ispahan. Ce n’était point une rue découverte ; c’était une espèce de grand passage voûté qui à divers intervalles laissait apercevoir le ciel. Ce quartier nous parut dépeuplé ; les débris des maisons roulaient sous les pieds des chevaux, qui les broyaient en soulevant une épaisse poussière. Quelques pauvres boutiques mal garnies, encore plus mal achalandées, indiquaient que c’était là une des extrémités abandonnées du grand marché. En effet, les boutiques se multipliaient à mesure que nous avancions, et bientôt nous nous trouvâmes en plein bazar ; mais les marchands étaient venus au-devant de l’ambassade, et tout était fermé, comme en un jour de repos ou de fête.

Nous suivîmes ainsi pendant près d’une heure, sous des voûtes obscures, une enfilade interminable de bazars. Enfin nous débouchâmes sur une grande place au fond de laquelle s’élevaient côte à côte une superbe mosquée et un gigantesque pavillon terminé par une galerie

  1. Serbâs, soldats d’infanterie.