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été fondée pour former d’habiles ouvriers. En 1825, Genève eut son musée de peinture[1], qui contribua puissamment à l’essor des artistes genevois Cette ville avait, l’une des premières parmi les cités du continent, été dotée d’une caisse d’épargne ; plus tard on y joignit une caisse des familles, où de plus fortes sommes étaient reçues ; des bibliothèques populaires, des salles d’asile, des maisons d’orphelins, un dispensaire et maints autres établissemens fondés par une bienfaisance éclairée témoignaient du bon emploi que les riches savaient faire de leur superflu. Le commerce, jouissant d’une entière liberté, prospérait en dépit des entraves apportées par les douanes sardes ou françaises, et l’exemple de Genève aurait pu fournir ainsi par anticipation un argument sans réplique aux partisans du libre échange.

Quant au gouvernement, il rencontrait peu d’opposition. Les critiques qu’on lui adressait ne portaient que sur des détails tout-à-fait secondaires. Assurément ce régime avait ses imperfections ; c’était une machine très compliquée, dont les rouages n’étaient pas tous excellens. La routine arrêtait quelquefois la marche des améliorations. Une réforme utile devait, avant d’être adoptée, passer par la filière d’une foule de comités délibérans, et risquait fort d’en sortir très amoindrie. Cependant, depuis que Genève était franchement entrée dans la voie du progrès modéré, ayant à sa tête un digne magistrat, M. le syndic Rigaud, qui, par sa politique conciliante et son noble caractère, avait conquis une popularité bien méritée, tout prétexte semblait ôté à la polémique des partis, et en effet l’heureuse république ne ressentit d’abord presque pas le contre-coup de la révolution française de 1830 ; elle demeura calme, tandis que la plupart des autres cantons subissaient des secousses plus ou moins violentes.

Cependant, pour quiconque connaissait l’histoire de Genève et son caractère national, il était facile de prévoir qu’au sein de cette prospérité, inouie dans ses annales, il ne serait pas impossible de trouver des élémens de division, de rallumer le feu de la discorde dans cette république, déjà désignée par un auteur italien du XVIe siècle sous le nom de la Città dei Malcontenti. En effet, le penchant au mécontentement et au blâme est si naturel aux citoyens genevois, que ceux-ci ont inventé un mot pour l’exprimer ; ils disent que le Genevois est avenaire, et Jean-Jacques Rousseau lui-même portait dans son génie ce cachet bien marqué de sa nationalité. Le retentissement des journées de juillet, les réfugiés italiens, polonais, allemands, qui affluèrent alors en Suisse, les mouvemens populaires de Vaud, Berne, Argovie, Fribourg, Zurich, etc., vinrent fournir d’excellens prétextes aux agitateurs. Sans tenir nul compte des réformes nombreuses introduites dans la constitution de 1814, on la représenta comme ayant été imposée par l’aristocratie, sous la pression des baïonnettes autrichiennes ; on prétendit que la souveraineté du peuple était méconnue, on réclama le suffrage universel : étrange prétention dans un pays où tout citoyen qui possédait l’âge requis et n’était ni banqueroutier, ni assisté, ni repris de justice, avait le droit, en payant 3 francs 25 centimes, de se faire inscrire sur le tableau électoral ! Ces déclamations eurent pour premier résultat d’amener, en 1834, lors de l’expédition des réfugiés contre la Savoie, la création d’une société populaire, espèce de club d’où, le cas échéant, devait sans doute sortir

  1. Ce musée fut construit par la munificence des demoiselles Ruth.