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quarantaines, une étude historique sur le marquis de Favras, enfin, tout dernièrement, un excellent article sur l’exposition de Londres ont assuré à leur auteur une place très distinguée parmi les écrivains de notre époque. Ses œuvres forment aujourd’hui plusieurs volumes que la contrefaçon belge n’a pas manqué de reproduire. À la plus merveilleuse facilité, M. Alexis de Valon joignait le goût qui sait épurer un premier jet plein de verve. Son talent d’écrire se perfectionna, mais il conserva toujours le naturel et la liberté de l’homme du monde, tout en recherchant la correction avec la patience et scrupule d’un littérateur d’autrefois. Sous une forme légère, sous un ton cavalier et presque frivole, il laissait voir un talent d’observation applicable aux sujets les plus sérieux. Le monde lui a quelquefois reproché je ne sais quelle tendance au scepticisme en toutes choses, car nous vivons dans un temps où l’indépendance de l’esprit est presque un travers. Il est vrai que M. de Valon, plein de respect pour toutes les opinions honnêtes, tenait aux siennes, et à bon droit, car il n’en adoptait aucune à la légère et sans l’avoir bien examinée. Il n’avait pas plus de goût pour le paradoxe que pour la trivialité, et lorsqu’il croyait avoir de bonnes raisons pour le faire, il avait le courage de louer un homme ou un livre, fussent-ils condamnés par les honnêtes gens. Cette impartialité dans la critique, ce goût de l’examen et cette recherche du bien partout où il se trouve, sont rares aujourd’hui et méritent qu’on les remarque. Avec une modestie poussée peut-être jusqu’à la défiance de lui-même, M. Alexis de Valon est l’homme que j’ai connu le plus indépendant dans ses opinions des coteries politique ou littéraires.

Recherché comme il l’était, et obligé de consacrer beaucoup de temps à ce qu’on appelle les devoirs du monde, on s’étonnait qu’il pût trouver le loisir de travailler ; mais il y avait dans cette nature calme et contenue une habitude d’observation constante. En lisant un livre, il formait son style ; en causant au milieu d’une soirée, il étudiait les hommes. Bien qu’il aimât avec passion tous les exercices de son âge — et sa mort en est la triste preuve – il donnait la préférence aux amusemens de l’esprit, un peu abandonnés par notre société moderne. Il aimait les arts et en parlait bien. Il a fait de jolis vers, connus seulement d’un bien petit cercle d’amis, et il les improvisait avec une grace parfaite. Il ne manquait peut-être à M. de Valon qu’un peu d’ambition pour développer toutes les ressources de son esprit ; mais quelle ambition pouvait avoir un homme si heureux dans son intérieur, si aimé et si digne de l’être ? Le désir et la conscience d’être utile à son pays pouvaient seuls l’obliger à renoncer à son repos et à son indépendance. Cédant aux pressantes sollicitations de ses amis, M. de Valon avait promis de se présenter comme candidat aux prochaines élections de la Corrèze, où la mémoire des services rendus par son père et l’affection générale dont il était lui-même entouré lui assuraient de nombreux suffrages. La mort a rompu brusquement cette existence de tant d’avenir. Si quelque chose peut adoucir nos regrets, c’est la pensée que cet excellent jeune homme n’a connu de ma vie que ses joies et ses douceurs, et qu’il ne laisse après lui que des souvenirs chéris de tous ceux qui l’ont approché.

P. MÉRIMÉE.



V. de Mars.