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de la civilisation, comme on a pu le penser ? En elle-même, elle n’a rien de bien extraordinaire, si elle n’est que la simple expression d’un fait : à savoir qu’en général les plus intelligens, ou les plus capables plutôt, sont appelés à commander. L’illusion de ceux qui en ont fait une sorte de dogme a été d’imaginer que ce qui confère l’unité, la vie, la puissance à une société, c’est l’intelligence, tandis que c’est la foi à un ensemble de vérités religieuses et sociale qui est ce premier ciment. Une erreur plus grande encore, sortie avec le temps de cette doctrine, a été de croire que l’intelligence, séparée de tout ce qui l’épure ou la féconde, suffisait à tout, pouvait suppléer à toutes les autres forces morales défaillantes dans l’homme. Cette croyance a été une source de déceptions et de désastres. Livrée à son propre mouvement, imbue de l’idée excessive de sa souveraineté, l’intelligence s’est éprise d’un amour singulier pour elle-même ; elle s’est adorée dans ses conceptions, dans ses rêves, dans ses doutes et ses incertitudes même, tendant sans cesse à les substituer à la réalité vivante et imprescriptible, à la réalité présente comme à la réalité traditionnelle. Considérée dans un sens pratique et individuel, comme moyen de domination, comme titre unique, en quelque sorte, à toutes les fortunes, à tous les succès, elle a été l’objet de toutes les poursuites et de tous les efforts. L’éducation n’a plus eu pour but de former des hommes dans toute l’excellence du mot, de les rendre meilleurs, selon le langage antique, mais de cultiver artificiellement leur esprit, de créer des capacités, comme on disait avant février : — orateurs en expectative, agitateurs intéressés, prétendans à tous les emplois et réformateurs bénévoles des gouvernemens. C’est là le vice de l’éducation moderne, et c’est sous l’empire de la doctrine dont nous parlons qu’elle a pris cette funeste direction. Le talent étant la mesure de tout, devenant le signe accrédité de la valeur sociale, il s’est développé une rage singulière d’atteindre à ce degré voulu d’aptitude vulgaire pour arbitrer, controverser, conjecturer sur tout. Il s’est élevé des couches brûlantes de la société une nuée de talens, de demi-talens, — utopistes niais ou pervers, esprits puérils et faux, spéculateurs du vice, — revendiquant leur part d’initiative souveraine de l’intelligence, et inoculant à cette société d’où ils sortent cette triste impuissance qui naît des hallucinations intellectuelles, des disputes chimériques, des controverses oiseuses. On ne remarque pas qu’il peut y avoir des siècles prodigieusement cultivés et prodigieusement corrompus, où l’intelligence éblouisse ou brûle sans éclairer, et soit un instrument d’énervement moral et de décadence, au lieu d’être un instrument de progrès. Ce sont les siècles « où le culte austère de la vérité est abandonné pour l’idolâtrie de l’esprit, — ainsi que le dit M. Donoso Cortes ; derrière les sophismes viennent les révolutions, et derrière les sophistes les bourreaux, » - ou le barbare « envoyé par Dieu pour trancher le fil de l’argument. » Ce sont là de ces vérités un peu rudes pour l’orgueil de l’esprit humain, que nous ne soupçonnions peut-être pas il y a quelques années. Il ne dépend pas de nous aujourd’hui, quand nous considérons les doctrines en apparente les plus généreuses, de les séparer de leurs résultats et de fermer les yeux sur nos propres déceptions.

On pourrait distinguer dans l’Histoire de M. Guizot deux parties essentielles, qui se fondent dans un développement commun et qui sont toutes deux également dignes d’étude, également propres à faire réfléchir l’esprit : l’une est la recherche philosophique des principes, des conditions du régime représentatif,