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et sans combat, par surprise, comme on a dit. C’est là ce qui rend si facile aujourd’hui, pour les intelligences rigoureuses, d’attaquer les écoles libérales, — en même temps que leur défaite est la raison de leur impopularité auprès de la foule, qui adore le succès. Au milieu de ces déviations et de ces revers, il reste toujours néanmoins un point de départ, une date, — 1789, — et cette date ne saurait être éludée, ne fût-ce que comme point d’appui pour agir sur notre temps. Le vrai, le profond intérêt moral du moment où nous vivons, c’est le besoin ardent de ressaisir le sens conservateur de cette époque, de la dégager des complicités révolutionnaires. de répudier dans la pratique contemporaine les préjugés, les irréflexions, les théories capricieuses qui en ont dénaturé ou compromis les conséquences légitimes, et ce besoin même marque le caractère et les limites de la réaction dans laquelle ont à se retremper les idées modernes, pour ne point risquer de trahir les principes supérieurs de la civilisation ainsi que le leur reproche, M. Donoso Cortès dans les pages sévères et éloquentes de son Essai sur le Catholicisme.

Nul homme, assurément, n’a plus de droit que M. Guizot, par la double autorité du talent et du caractère, à stipuler pour ce qu’on nomme les idées modernes, à les représenter dans leurs phases d’éclat et dans leurs revers, dans leurs audaces tempérées et dans leurs retours. Ces idées, M. Guizot les a professées et pratiquées ; il les a portées dans les tribunes de l’enseignement et au pouvoir ; sa fortune se lie à leur fortune, jusqu’à la dernière heure où il a eu le fatal honneur de les personnifier dans leur défaite. La publication que fait aujourd’hui l’illustre historien d’un livre mûri et composé autrefois prouve quelle élévation et quelle fermeté d’esprit il mettait l’un des premiers à tracer le symbole des croyances libérales et constitutionnelles, à définir la nature et l’action de la société moderne. L’Histoire des Origines du gouvernement représentatif, en effet, reporte vers les plus belles années militantes du libéralisme, vers une époque où il avait pour lui l’avenir, la popularité, la faveur instinctive des masses, l’enthousiasme débordant de la jeunesse, le culte réfléchi des esprits les plus éminens. L’éclat du talent, un peu de persécution assez douce, il est vrai, mais assez opportune peut-être pour ceux qui en étaient l’objet, la séduction de théories ingénieuses et savantes qui flattaient l’instinct public par le spectacle d’institutions où l’action nationale était sans cesse provoquée, — tout cela suffisait pour enflammer les imaginations et pallier ce qu’il pouvait y avoir de factice ou d’erroné dans les opinions. Entre l’année 1820, où M. Guizot, l’un des héros de ce mouvement, professait ses leçons sur le gouvernement représentatif, et l’époque actuelle, où il les met au jour les idées libérales ont eu le temps de manifester leur puissance, de se réaliser en institutions et d’être vaincues à leur tour. Ces trente années ont vu la plus effrayante consommation de théories, de systèmes plus ou moins empreints de libéralisme, — états fragiles sur lesquels s’est appuyé vainement notre chancelant édifice ; l’esprit s’embarrasse à les rechercher et à en ressaisir les nuances caractéristiques. Une des plus séduisantes et des plus viriles de ces théories, à coup sûr, c’est celle qui a été popularisée principalement par l’école dont M. Guizot est le chef et qui se fait jour dans l’Histoire du gouvernement représentatif : c’est la doctrine qui place la source de la souveraineté et du droit dans la raison humaine dans l’intelligence ; M. Guizot en fait découler la puissance paternelle elle-même.

Cette doctrine de la souveraineté de l’intelligence contient-elle en effet la loi