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c’est devenu l’une des réjouissances des patriotes de la république démocratique et sociale. Les troubles de l’Ardèche ont fort à propos servi de commentaire et de pièces justificatives au réquisitoire prononcé devant le tribunal militaire de Lyon. Le jeune et courageux préfet qui est venu déposer devant le conseil y pouvait bien parler en homme qui sait payer de sa personne. Voilà ce qu’il y a tout de bon sous les paroles pompeuses des manifestes dont la montagne ne se lasse point. Le grand style et les grands sentimens de M. Lamennais ne font que recouvrir ce fond turbulent et criminel toujours à la veille de déborder. Ils ne recouvrent pas même les jalousies intestines qui dévorent tous ces ennemis de l’ordre social, et ne leur permettent seulement pas de faire cause commune pour détruire. La montagne de Paris et la montagne de Londres ne correspondent que pour échanger les témoignages de leurs aigres animosités. La montagne de Londres ne veut pas qu’on l’oublie, et prétend que le lieu de son exil doit être le foyer de l’agitation universelle. La montagne de Paris, fatiguée de l’orgueil incapable des chefs qu’elle n’a jamais été très fâchée d’avoir perdus, ne se résigne pas à les subir de loin ; quand il en coûtait déjà tant de les subir de près. On se dispute le maniement de la démocratie et le patronage des démocrates. Il parait que l’Italie est la chose de M. Mazzini ; M. Lamennais se l’est fait dire assez rudement. Ni l’Italie ni la démocratie ne gagneront pourtant plus par l’un que par l’autre.

Le roi Frédéric-Guillaume vient d’accomplir à travers les provinces occidentales de sa monarchie une sorte de pérégrination politique, dont le but et les épisodes méritent quelque attention. C’est un détail à marquer dans le tableau de cette restauration singulière entreprise avec un courage si malencontreux par le gouvernement prussien et par le petit nombre d’auxiliaires dont l’appui lui semble suffisant pour aller si vite jusqu’aux plus étranges extrémités. Les rôles sont partagés d’une manière assez curieuse dans cette campagne, où l’on risque assurément beaucoup trop pour ce qu’elle peut en définitive rapporter. Il y a le corps d’armée qui n’est pas très considérables, mais qui est très tenace, très avide de représailles et de butin, — cette cohorte aristocratique des provinces de l’est et de quelques districts westphaliens qui veut tout simplement profiter de l’occasion pour reconquérir ses privilèges pécuniaires et autres, non-seulement ceux qu’elle a perdus depuis 1848, mais ceux aussi qu’elle possédait avant la réforme de Stein et de Hardenberg. Ces ardens champions de l’ancien régime ne se donnent pas la peine de dissimuler ou de déguiser leurs prétentions ; ils parlent dans toute sa crudité le langage d’un intérêt égoïste ; et qui n’est même pas des plus nobles : ils veulent de l’argent ; ils ne se cachent pas de le réclamer, de l’aimer pour lui-même. À la tête de ce bataillon sacré, il y a cependant d’autre part un état-major qui se met beaucoup plus en frais d’imagination, qui essaie d’habiller plus décemment les exigences trop grossières de ses soldats. Ce sont des prêcheurs de morale qui ne ménagent pas les sermons, et qui, tout en accordant satisfaction aux appétits tracassiers d’une certaine noblesse, veulent encore prouver aux pauvres gens qu’on ne les vexe que pour leur bien. Ce n’est pas la cupidité qui les pousse, de c’est le zèle d’une vraie charité chrétienne : ils ne travaillent que pour le salut leur prochain et pour la gloire de Dieu. Ils ne visent à rien moins qu’à dépouiller les uns pour relever les autres ; ils violent toutes les lois établies