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L’objet principal de la nouvelle constitution fut de sanctionner les décrets de Montbenon : on admit le principe de l’initiative du peuple en établissant que toute demande présentée par huit mille pétitionnaires devrait être prise en considération par le grand conseil ; on étendit le droit électoral à tous les Suisses fixés depuis un an dans le canton ; on renforça le pouvoir exécutif, chargé de représenter l’omnipotence de la souveraineté populaire. Ce travail terminé fut livré au jugement des citoyens avec un commentaire apologétique sous forme de proclamation, destiné à être lu en chaire le dimanche 3 août. C’était une épreuve à laquelle on voulait soumettre le clergé, afin de bien constater sa complète dépendance vis-à-vis de l’autorité civile. Un grand nombre de pasteurs refusèrent d’obéir et donnèrent leur démission, aimant mieux se séparer de l’église nationale que de se faire des instrumens de propagande politique. La plupart d’entre eux n’en continuèrent pas moins à remplir leurs fonctions auprès de la partie du troupeau qui leur était demeurée fidèle, et les assemblées dissidentes qui se multiplièrent ainsi devinrent bientôt le prétexte de violences populaires que le gouvernement n’essaya pas même de réprimer. M. Druey encourageait « cette sauvagerie primitive, » qui, selon lui, prouvait l’énergie du peuple et annonçait que l’intelligence était descendue dans les poings. On laissa faire ; puis, quand on put craindre que les dissidens, las d’être insultés et battus toutes les fois qu’ils se réunissaient pour prier en commun, ne tentassent d’organiser la résistance, on donna pleins pouvoirs au conseil d’état, qui s’empressa d’envoyer ses gendarmes saisir, non pas les perturbateurs, mais les ministres et leurs ouailles. La liberté religieuse fut tout-à-fait interdite et la persécution systématiquement organisée, de telle sorte que les émeutiers purent, avec la certitude de l’impunité, se donner la joie d’envahir toute maison suspecte et d’en maltraiter les paisibles habitans.

Comment se peut-il qu’un semblable régime se soit établi dans un pays naguère heureux et libre sans soulever l’indignation générale ? N’est-ce pas là le démenti le plus formel donné à toutes ces belles phrases qu’on débitait jadis sur le bon sens du peuple et sur les bienfaits de l’instruction primaire ? La population vaudoise n’a retiré de l’enseignement de ses écoles qu’une aptitude plus grande à se laisser séduire et abuser par les mensonges de la presse, par les trompeuses promesses du charlatanisme, et, quand une fois l’aveuglement est arrivé jusqu’au point de ne plus savoir distinguer le langage de la raison de celui des mauvais instincts et des passions déchaînées, il est bien difficile d’arrêter les progrès du mal. La presse ne fournit pas l’antidote en dose suffisante pour neutraliser les effets du poison qu’elle a si abondamment répandu ; l’action individuelle rencontre des préventions qui paralysent ses efforts, l’exclusivisme de l’esprit de parti creuse un abîme infranchissable.

Après sa dernière révolution, le canton de Vaud ne tarda pas à subir le débordement du journalisme. De méchantes petites feuilles, remplies de personnalités insultantes, alimentées surtout par la jalousie et le mensonge, accoutumèrent le public à voir déverser le ridicule ou le mépris sur les hommes jusqu’alors les plus considérés et les plus dignes de l’être, ainsi que sur les principes qui sont la base nécessaire de toute morale et de toute religion. Cette action délétère semblait d’autant plus à redouter, qu’elle avait pour elle l’appui de la populace, qui plusieurs fois eut recours à la violence, afin de fermer la