Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’ame. Tout en s’unissant, on garde sa personnalité et son libre arbitre. Ce système de cotisations qui se reproduit à tout moment, qui revient pour le carnaval, pour des danses durant l’hiver, etc., donne naissance à une infinité de petites caisses gérées par un trésorier et autour desquelles il se passe parfois des faits propres à jeter une lueur nouvelle sur les habitudes populaires. Quelques-unes de ces caisses consentent à prêter au sociétaire qui le demande une partie de la somme par lui versée ; ainsi, à l’époque de l’année où on a payé cinq francs, on peut être admis à en emprunter trois. Ce prêt n’est point gratuit ; il n’y a pas de banquier qui vende le crédit aussi cher. L’emprunteur doit donner un liard par semaine et par franc, ou cinquante-deux liards par an, c’est-à-dire 65 pour 100 d’intérêt. Que devient cet intérêt ? Il accroît la masse, et, à l’époque fixée pour le partage, celui des sociétaires qui n’a rien emprunté touche une somme supérieure à son propre versement. Les ouvriers ne se gâtent pas, comme on en peut juger, les uns les autres ; jusque-là, cependant, nous ne voyons dans ce procédé qu’une dureté extrême : n’en résulte-t-il point des abus plus graves ? Nous ne voudrions pas affirmer, après les renseignemens que nous avons recueillis, que certains trésoriers peu scrupuleux n’aient jamais continué, quand le partage de la caisse était accompli, à faire, pour leur propre compte, ces prêts à la petite semaine, moyennant le même intérêt de 65 pour 100.

Dans tout ce mouvement des sociétés de plaisir et des cercles des cabarets, la politique occupe-t-elle une place ? l’agitation socialiste y trouve-t-elle un moyen d’influence ? quant aux sociétés dansantes et autres réunions analogues, il faut vivre dans un temps où la politique a presque tout envahi pour être obligé de dire que des intentions de cette nature en sont tout-à-fait absentes, pour les cercles des cabarets, c’est différent : sans en être l’objet, la politique y pénètre naturellement avec les journaux qu’on y reçoit, et qui sont ordinairement des journaux exaltés. Il est pourtant bien rare qu’en temps ordinaire les conversations y roulent sur le gouvernement ou sur ses actes. Le journal n’est pas lu à haute voix : ceux qui le lisent passent par-dessus la polémique pour courir aux faits divers et aux annonces[1] ; mais, si les ouvriers lillois restent étrangers à la polémique courante, pour laquelle ils n’ont aucun goût, ils prêtent l’oreille à ce qui les concerne. Il n’y a pas dans l’assemblée nationale une seule discussion relative au travail qui n’ait au milieu d’eux un grand retentissement. Quelques-uns lisent alors le journal, et racontent aux autres ce qui s’est

  1. Une des feuilles du parti conservateur qui tenait à se placer, dans les cabarets de Lille, et qui, grace à quelques sacrifices, à réussi à y glisser cinq ou six cents numéros, avait considéré comme une condition essentielle de succès de présenter une belle page d’annonces.