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s’infiltrer dans les réunions formées en dehors de la pensée religieuse. En fait d’associations de cette seconde espèce, dont les mouvemens méritent à coup sûr l’étude la plus attentive, nous trouvons à Lille la société dite de l’Humanité, des sociétés de secours mutuels, des sociétés chantantes, et enfin les cercles des cabarets. Quels résultats le socialisme a-t-il obtenus sur ce terrain, où il ne rencontrait pas la digue impénétrable du sentiment chrétien ? Où en est-il aujourd’hui dans ses rapports avec la population ?

La Société de l’Humanité, fondée le 7 mai 1848, se propose de procurer à ses membres, à bon compte et en bonne qualité, la viande de boucherie, le pain, les vêtemens et le chauffage. Il est vrai que, dans l’intention des fondateurs, on y voulait joindre une caisse de secours et une caisse de retraite ; mais ce sont là des hors-d’œuvre. Les dispositions des statuts qui y sont relatives n’altèrent pas du reste le caractère essentiel de l’association, le seul, selon nous, par lequel elle puisse produire de sensibles avantages. Cette société ouvre ses rangs à tous ceux qui se présentent, pourvu que leur moralité ne soit pas entachée. La cotisation exigée de chaque membre est de 15 centimes par semaine. Le nombre des sociétaires était de quatorze cent-trente-deux au mois de juin dernier ; comme le chef de la famille est seul inscrit, ce chiffre englobe une masse très considérable d’intérêts. Les associés sont divisés par groupes de vingt ; chaque groupe nomme un vingtainier ; cinq groupes forment une centaine et choisissent un centainier. Placée sous la direction d’un président élu chaque année, l’association est administrée par une commission générale qui se réunit au moins une fois par mois et se divise en sous-commissions dites des subsistances ; de l’habillement, de la comptabilité, etc.

Quels bénéfices la société procure-t-elle à ses membres en échangé de leurs modiques cotisations ? réalise-t-elle son programme en faisant payer moins cher les objets de consommation habituelle sans rien sacrifier sur la qualité ? Après une expérience de deux années, on peut juger ses œuvres. Pour le pain, l’habillement et le chauffage, la société n’achète pas elle-même les matières premières, elle a traité avec des fournisseurs particuliers qui vendent aux sociétaires à un prix inférieur au prix courant les articles de leur commerce. Ainsi, pour le pain, le rabais est de 2 cent. 1/2 par kilog. Quant à la viande, la société fait acheter elle-même les bêtes qu’elle abat et les vend en détail dans quatre boucheries ; c’est ici surtout que son action est intéressante à suivre. À Lille comme dans beaucoup d’autres villes, la viande de boucherie n’est pas tarifée ; avant l’institution de la Société d’Humanité, les bouchers se refusaient à établir des catégories de viandes ; on cherchait à vendre les morceaux les moins estimés aussi cher que les autres. Pressés par la concurrence de la société, les bouchers ont compris qu’il n’était plus possible de résister à un vœu souvent et inutilement