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grand jour, dans les rues ou sur la place publique. Entre les murailles d’une ville fortifiée, on ne saurait s’attendre à trouver de vastes promenades, où le peuple va chercher ces perspectives riantes qui ravissent l’imagination. Sur les remparts ou l’esplanade, partout l’horizon est extrêmement resserré. Il n’y a pas ici, comme à Rouen, à Bordeaux, à Nantes, un grand fleuve dont les rives attirent toujours une partie de la population et forment une sorte de lieu de rendez-vous. Il faut sortir des portes de la cité, traverser de longs faubourgs, devenus quelquefois des villes de 12,000 ames, comme Wazemmes, avant de rencontrer des espaces agrandis. Que dans des conditions pareilles le goût du peuple Lillois ne le pousse pas vers la vie en plein air, rien de plus facile à comprendre. L’été, quand il fait beau ; à l’heure ou les ateliers se ferment, les ouvriers se promènent quelques instans dans les rues centrales ; mais ce n’est pas là évidemment qu’ils occupent la plus grande partie de leurs loisirs. Et cependant on reconnaît promptement en eux des hommes qui ne se plaisent point dans l’isolement, qui aiment au contraire à se rapprocher les uns des autres. Doués d’un caractère hospitalier et sympathique, les Flamands sont portés à s’aider mutuellement ; ils affectionnent les réunions de tout genre et recherchent les occasions de passer en commun les heures qui ne sont pas données au travail. Rebelle à l’esprit d’individualisme, le sol lillois est très favorable à l’esprit d’association ; aussi les sociétés y sont-elles le moyen à l’aide duquel s’exerce l’influence morale et se développe le mouvement intellectuel. Leur rôle y est considérable ; c’est dans leur sein que se révèlent le véritable caractère de la population et le niveau du développement des esprits.

Les associations lilloises se partagent en deux grandes catégories celles qui sont fondées sous l’inspiration d’une idée religieuse, et celles qui en sont plus ou moins éloignées. En y regardant d’un peu près, on retrouve bientôt ici la lutte entre l’esprit chrétien et l’esprit socialiste, lutte qui formera dans l’avenir une des pages les plus saillantes de l’histoire contemporaine. Le socialisme a pris dans l’Evangile ses idées sur l’égalité et la fraternité ; mais, comme il en exagère l’application sur le théâtre de la vie présente, il rencontre aussitôt le christianisme pour adversaire inconciliable. Qu’on ne s’étonne pas que la doctrine socialiste se soit montrée si souvent comme à plaisir irréligieuse et impie. M. Proudhon savait bien ce qu’il faisait quand il déclarait la guerre à Dieu, au Dieu qu’adore le monde civilisé. Admettre le christianisme, c’eût été abdiquer toute originalité et toute raison d’être. Le christianisme n’est pas venu, comme les sectes socialistes, prêcher la ruine des sociétés existantes et attaquer les gouvernemens établis ; il s’est adressé à l’homme pour le régénérer à l’aide d’une nouvelle loi morale d’où la rénovation des lois politiques devait