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je vis qu’ils se concertaient, et leur embarras me réjouit fort. Les règlemens n’ont probablement pas encore prévu la contrebande aérostatique.

Lorsque nous eûmes pris quelques instans de repos et recueilli nos informations, nous tînmes conseil. Un point important dominait en ce moment notre situation : l’Aigle devait être rendu à Paris, de manière à pouvoir êrre enlevé de nouveau le dimanche suivant, et il ne restait plus que la journée commencée et le lendemain pour opérer le retour. Cependant Mézières n’était qu’à deux lieues, le temps était calme, et M. Godard aurait bien voulu offrir à la curiosité des habitans de cette ville la vue de notre ballon. Nous partîmes résolûmne tpour cette destination, conduits à travers les champs, les chemins et les villages par une troupe de paysans attelés aux cordes, et entourés d’un cortège sans cesse grossi de toutes les populations, avides d’un spectacles aussi nouveau pour elles. Le poste de douaniers représentait dignement l’autorité et nous constituait une escorte protectrice, rendue d’ailleurs superflue par l’attitude et les sentimens bienveillans de la foule qui nous entourait. Après une heure de cette marche pittoresque, nous atteignîmes la grande route de Mézières ; mais, si grande que fût cette route, elle n’offrait au ballon qu’une voie d’une largeur à peine suffisante, et le vent qui s’élevait la rendait impraticable, à cause des arbres dont elle est bordée. Le chemin à travers les champs avait aussi ses inconvéniens pour le passage de la foule, qui ne voulait pas nous quitter. Un seul parti restait à prendre, celui de dégonfler le ballon et de le transporter sur une charrette. Voilà donc cet Aigle superbe, si fier dans l’espace, réduit au plus humble moyen de locomotion, et voyageant par le roulage comme un vulgaire coli ! Hélas ! Quelle gloire n’a pas ses misères !

Un champs de luzerne nous parut convenable pour l’opération du dégonflement, et nous en devînmes locataires pour une heure. Durant tous ces préliminaires, M. Godard s’était informé des voies et moyens de transport. Le chemin de fer le plus rapproché était celui d’Epernay à trente lieues de là. La perspective d’un voyage de trente heures n’était pas acceptable, et le temps nous manquait. Le vent nous portait vers Bruxelles, nous disait-on. – Voulez-vous m’en croire ? Me dit M. Godard, allons en Belgique ; là, nous trouverons facilement un chemin et fer, et nous pourrons nous abattre sur un pont voisin d’une station.

— Cela se peut-il ?

— Cela se peut.

— Partons.

Quoique le temps fût magnifique, l’intensité du vent devant grandir avec l’élévation du soleil au-dessus de l’horizon, et M. Godard ne doutait pas que nous n’eussions de grandes difficultés à vaincre pour notre