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quelque temps un vif éclat ; le collége cantonal fut reconstitué aussi sur de meilleures bases ; une école normale fut créée pour les instituteurs ; les écoles primaires se multipliaient sur tous les points du canton, et l’on s’efforçait d’y perfectionner l’enseignement, soit par l’adoption de bonnes méthodes, soit par l’extension du champ des connaissances, mises ainsi à la portée de tous.

Quand on reporte ses regards sur les quatorze années qui, dans le canton de Vaud, s’écoulèrent de la fin de 1830 au commencement de 1845, quand on passe en revue tous les progrès accomplis durant cette période, on se demande comment il est possible qu’une révolution ait éclaté dans cet heureux petit pays, où la liberté s’épanouissait si bien sous la conduite de magistrats intègres, entourés d’estime et de considération, non moins distingués par leurs lumières que par leur dévouement. Cette belle et paisible contrée ne connaissait ni la plaie du paupérisme des grandes villes, ni celle du prolétariat, qui afflige les centres de l’industrie manufacturière. La constitution ouvrait largement la porte aux réformes jugées utiles ; aucun privilège n’existait ; tous les citoyens jouissaient des mêmes droits. Les chefs de l’état se montraient dignes de la confiance du peuple ; l’influence qu’ils s’étaient acquise dans la diète suisse par leur politique sage et conciliante devait flatter son amour-propre. Le seul tort qu’on pût leur reprocher, c’était de paraître oublier que l’élite intellectuelle dont ils faisaient partie ne formait pas la majorité de la population, d’avoir un peu trop perdu de vue les défauts, les préjugés et les tendances du caractère national. C’est au cabaret, le verre en main, il faut bien le dire, que le Vaudois traite le plus volontiers ses affaires ; l’esprit d’observation, la réflexion, le bon sens, toutes ces solides qualités d’un peuple protestant et républicain, s’unissent chez lui à de vives et mobiles allures dont il importe de tenir compte. « Doués d’un génie naturel qui les rend propres à tout, a-t-on dit avec raison[1], les Vaudois sont retenus par une force d’inertie qui ne leur permet le plus souvent d’atteindre qu’à la médiocrité… Ils sont plus gaillards qu’agiles, plus malins que perfides, plus renfermés que cachés. On ne se figurerait pas, en voyant leurs traits vagues, leurs bras tombant sur les côtés, en les entendant s’exprimer avec lenteur, ce qu’ils recèlent de sens et de finesse d’esprit. » Ce portrait trop fidèle explique la scission qui devait éclater tôt ou tard entre le gouvernement et la population vaudoise. Les gouvernés, se tenant à la pinte[2], n’avaient guère de contact avec les gouvernans. C’étaient en quelque sorte deux sociétés tout-à-fait différentes, dont la première inclinait au radicalisme, tandis que la seconde reconstituait une espèce d’aristocratie, très légitime sans doute, puisqu’elle ne cherchait d’autres privilèges que ceux du talent, du zèle et de la moralité, mais d’autant plus antipathique aux habitués du cabaret.

À ce germe de division vinrent bientôt s’ajouter des querelles religieuses. Le méthodisme, importé sur le continent par les Anglais, trouva dans le canton de Vaud un sol tout préparé à le recevoir. L’église nationale manquait de vie ; elle semblait atteinte d’un assoupissement et d’un relâchement funestes ; la force d’inertie n’y exerçait que trop son empire ; on accueillit donc l’esprit de secte avec empressement comme un moyen de réveil. Des communautés

  1. Tableau du canton de Vaud, par L. Vulliemin ; Lausanne, 1849, 1 vol.
  2. Nom vaudois des débits de vin.