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lui reproche. Il accuse la dernière édition de Pascal de tomber dans la confusion à force de respect pour l’exactitude littérale. En multipliant à l’infini les détails biographiques et bibliographiques, il est plus d’une arrivé à troubler ce, qu’il voulait éclaircir. Les fragmens de correspondance, très curieux d’ailleurs, sont prodigués avec une générosité quelque peu fastueuse ; ils amusent plutôt qu’ils n’instruisent : on dirait que l’auteur tient à nous montrer tout ce qu’il sait, à nous prouver qu’il n’a rien négligé pour connaître tous les secrets de l’homme dont il s’est fait le biographe. La démonstration n’est pas seulement complète, mais surabondante. Pour ma part, je suis convaincu que la moitié de ces documens pourrait disparaître sans laisser aucune lacune dans la trame du récit. M. Sainte-Beuve, pour plaire au lecteur, a dépassé le but.

Je reviens à ma première pensée. Je ne conçois qu’une seule manière d’écrire l’histoire de Port-Royal, c’est d’embrasser toutes les faces du sujet. Il faut se placer tour à tour au point de vue de la foi, au point de vue de la philosophie, et ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les données de ces deux ordres d’investigation qu’il est permis d’aborder le côté littéraire de Port-Royal. M. Sainte-Beuve a éludé les deux premières questions pour s’en tenir à la troisième. Il parle à plusieurs reprises du gros livre de Jansenius, qui n’est pas en effet de facile digestion, et il dit qu’il ne l’a pas lu tout entier, ajoutant qu’il craindrait de se vanter. Ce n’est pas moi qui lui reprocherai de n’avoir poursuivi jusqu’au bout la lecture de Jansenius ; mais je regrette qu’il n’ait pas compris la nécessité de remonter jusqu’à la source même où Jansenius avait puisé, je veux dire jusqu’à Saint-Augustin, car c’est là seulement qu’il pouvait trouver les vrais fondemens de la doctrine janséniste : il eût recueilli dans cette lecture une ample moisson de documens, et le style de saint Augustin, sans nous reporter précisément à la langue de Virgile et de Cicéron, nous présente pourtant sous une forme attrayante les questions les plus abstruses. La question de la grace que Jansenius a réveillée équivaut tout simplement à la négation du libre arbitre, et c’est au maître de Jansenius qu’il fallait demander l’exposition complète de cette étrange doctrine. Jansenius en effet ne parle pas en son nom, mais au nom de saint Augustin, et l’évêque d’Hippone a consacré à la discussion de ces matières plusieurs traités qui, malgré la diversité des titres, se composent d’une série d’affirmations identiques. Ce qu’il a écrit sur le péché originel et la grace du Christ, sur le libre arbitre et la grace, sur la prédestination des saints, soumis à l’épreuve d’une critique sévère, se réduit à cette seule pensée : Dieu choisit librement ceux qu’il veut toucher et sauver sans se laisser déterminer par le mérite de leurs actions. Interrogés dans tous les sens, ces trois traités ne signifient pas autre chose. C’est-à-dire