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suivi ses travaux avec curiosité, avec empressement. Son érudition active et variée est pour moi le sujet d’une vive admiration. Toutefois je suis loin de partager toutes les opinions qu’il a exprimées, et mon hésitation s’explique facilement ; car M. Sainte-Beuve, à peine âgé de quarante-sept ans, a plus d’une fois varié en parlant du même sujet, et je pourrais accepter, ce qu’il a dit autrefois d’un poète ou d’un historien sans me trouver d’accord avec lui, je veux dire sans épouser son opinion d’aujourd’hui.

À Dieu ne plaise que je voie dans la permanence des opinions un signe évident, irrécusable de sincérité ! Je sais trop bien que plus d’un écrivain, pour échapper au reproche d’inconséquence, est demeuré fidèle aux paroles, aux idées qu’il avait depuis long-temps abandonnées ; dont il sentait toute la fausseté. Aussi, quand le moment sera venu de discuter les jugemens littéraires de M. Sainte-Beuve, s’il m’arrive de lui adresser quelques reproches, je lui tiendrai compte de la mobilité naturelle de son esprit, et je ne condamnerai pas ses idées nouvelles en tant que nouvelles, mais plutôt comme exprimées trop tard ou d’une façon inopportune.

Pour bien comprendre toute la valeur des Poésies de Joseph Delorme, il faut se reporter par la pensée aux dernières années de la restauration ; car, bien qu’il y ait dans ce recueil une partie substantielle, une partie vraiment humaine, les questions de forme y tiennent tant de place, qu’on le jugerait trop sévèrement en négligeant le milieu où il s’est produit. En 1829, toutes les questions de rhythme, de rime, de césure, d’enjambement étaient le sujet de vives controverses. Ce n’est pas là, sans doute, le fond même de la poésie. Cependant ces questions, bien que secondaires, ont une véritable importance, et je conçois très bien que M. Sainte-Beuve les ait étudiées avec ardeur, avec amour. D’ailleurs, tout en étudiant l’instrument poétique en artiste, en érudit, il n’a jamais négligé l’étude de sa propre pensée, et la science des mots, la connaissance approfondie de toutes les ruses du métier, ne l’ont jamais distrait du but suprême de la poésie. Il a toujours préféré l’expression d’une idée vraie, d’un sentiment généreux, aux évolutions du rhythme, aux caresses de la rime. Les Poésies et les Pensées de Joseph Delorme nous offrent, sous deux formes diverses, le fruit des études de M. Sainte-Beuve. Dans les Pensées de Joseph Delorme, l’auteur discute et justifie les doctrines qu’il a embrassées ; dans les Poésies, il traduit, il exprime ces mêmes doctrines en strophes ardentes ou éplorées, et il s’acquitte de cette double tâche avec un égal bonheur. Il manie la controverse littéraire aussi habilement que la rime et la césure. Subtil et précis dans les Pensées, il trouve dans les Poésies des images heureusement assorties pour tous les sentimens qu’il veut nous révéler, pour tous les regrets auxquels il veut nous associer.