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des peuples de l’Orient, commandait donc aux Coréens de ne point s’engager à la légère dans ces poursuites dangereuses, et les conseils de la cour de Pe-king tendirent à les confirmer dans ces dispositions. La politique chu cabinet impérial était d’éviter autant que possible les réclamations de nos agens et de ne point donner prise à l’exercice de ce protectorat, dont chaque acte rappelait tristement une des faiblesses de la diplomatie chinoise[1]. En s’engageant à promulguer dans les provinces de l’empire les édits de tolérance, on n’avait cru faire aux sollicitations de notre ambassadeur qu’une concession sans importance. On s’aperçut bientôt que de toutes les concessions arrachées par l’influence étrangère, celle-ci était la plus grave et serait la moins facilement éludée.

Dans le Fo-kien, dans le Kiang-nan, dans le Che-kiang, partout où pouvait atteindre notre narine, les vice-rois s’étaient empressés de donner une grande publicité aux édits ; dans le Su-tchuen, dans le Yun-nan, dans le Hou-pé, dans le Kiang-si, on se flatta d’éviter la promulgation promise, et les chrétiens eurent à subir les violences et les avanies accoutumées. C’était méconnaître un engagement pris avec la France et appeler des protestations qui ne se firent pas attendre.

  1. Une pièce très authentique, qui fut communiquée à M. le commandant Lapierre au mois de juin 1847, donnera une idée des sentimens qu’apportèrent les mandarins chinois dans les négociations ouvertes à Wam-poa entre le vice-roi Ki-ing et M. de Lagrené. Voici le texte traduit de cette circulaire confidentielle adressée par le vice-roi de Fo-kien aux officiers de cette province : « Nous avons reçu la dépêche de son excellence le vice-roi de Canton, Ki-ing, dans laquelle le vice-roi nous fait connaître que l’ambassadeur français, M. de Lagrené, revenu à Canton, accuse le gouvernement chinois d’avoir violé la convention qui vient d’être conclue avec la France. L’ambassadeur a été informé que les mandarins du Hou-pé et du Kiang-si continuaient à maltraiter les chrétiens malgré les édits de l’empereur : c’est pour cela que le vice-roi Ki-ing s’est rendu à Bocca-Tigris pour traiter de nouveau cette affaire de la religion chrétienne. — Il faut, dit-il, laisser les chrétiens libres d’adorer Dieu, d’honorer la croix, les images, d’élever des chapelles, de prêcher leur doctrine, de réciter des prières ; mais on ne permet pas aux missionnaires européens de pénétrer dans l’intérieur de l’empire. Telles sont les conditions du nouveau traité. — J’ai ouï dire que la France était le plus puissant royaume de l’Europe ; l’année passée, en effet, l’ambassadeur français se montra ici avec une flotte bien capable de résister à la flotte anglaise. Prenez donc garde de maltraiter les chrétiens… Les Français ne font pas très grand cas de leur commerce ; mais ils voudraient répandre la religion chrétienne dans le monde entier pour en acquérir de la gloire. Vous devez recommander à vos officiers inférieurs, aux soldats, aux satellites, de ne commettre aucun acte imprudent vis-à-vis des chrétiens, de peur d’irriter les Français et d’attirer de grands malheurs sur l’empire… Insensiblement nous en reviendrons à surveiller la perfidie des chrétiens. Vous devrez tenir cette lettre secrète, et si quittez le poste que vous occupez en ce moment, vous la remettrez en main propre à votre successeur en lui recommandant de ne la communiquer à personne et en lui faisant comprendre la nécessité d’exiger de ses subalternes les plus grands ménagemens envers les chrétiens. Sans ces précautions, on attirerait d’incalculables malheurs dans nos provinces maritimes. »