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vaisseau ; ces officiers partirent successivement pour Shang-haï dans des canots pontés à la hâte, emportant les vœux et l’espoir des deux équipages.

C’était une traversée de cent vingt lieues à accomplir dans des embarcations qui n’avaient jamais été destinées à affronter les périls d’une pareille navigation. Plus d’une fois les frêles esquifs furent sur le point d’être submergés ; ils atteignirent enfin le port. Le 5 septembre, quinze jours après le départ du premier canot, les naufragés entendirent des coups de canon qui signalaient l’approche de la division anglaise, accourue au secours des équipages français. Le brave capitaine Macqu’hae, dont notre marine ne saurait oublier le nom, avait réuni la frégate le Doedalus, les bricks l’Espiègle et le Childers, et, conduit sur le lieu du sinistre par MM. Delapelin et Poidloue, il venait offrir à nos compatriotes de les transporter en Chine. Le 12 septembre, les équipages de la Gloire et de la Victorieuse avaient évacué l’île Ko-koun, et les navires anglais reprenaient le chemin de Hong-kong.

Les exemples de cette réciprocité de dévouement abondent depuis quelques années dans l’histoire des deux marines, ils prouvent combien les vieilles haines nationales tendent à s’effacer ; mais ici l’empressement de l’escadre anglaise à secourir la nôtre avait une portée plus grande, une signification qui ne put échapper au gouvernement coréen. Les ministres qui avaient ordonné la mort des trois prêtres français y virent avec inquiétude les premiers symptômes de cette solidarité européenne qui ne pouvait manquer de se produire dans l’extrême orient et d’y placer sous une égide commune les intérêts de la civilisation. Les Anglais ne sont pas si uniquement préoccupés de leurs intérêts matériels qu’on le suppose ; ils nous envient très sincèrement le rôle qui nous est échu en Chine, et en partageraient volontiers l’honneur avec nous. Sans répudier cet utile concours, la France se doit cependant de ne pas laisser tomber en d’autres mains le patronage que lui a déféré d’une voix unanime la catholicité reconnaissante, et qui ne saurait être exercé avec une complète efficacité que par une puissance catholique. Heureusement, dans cette occasion même, la ferme contenance des marins français après leur malheur, cet appareil militaire qu’ils déployaient encore sur l’île où ils s’étaient réfugiés, ne contribuèrent pas moins que les prompts secours qu’ils reçurent de Shang-haï à inspirer plus de circonspection aux persécuteurs. Les autorités coréennes, qui montraient autrefois un acharnement sans exemple à poursuivre les missionnaires européens, se demandèrent ce qu’elles feraient de ces étrangers une fois qu’elles seraient parvenues à les saisir. Les mettre à mort ne semblait plus possible ; les jeter dans les prisons de Seoul, c’était appeler encore une fois les navires français sur les côtes de la presqu’île. La prudence, cette qualité instinctive