Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas dépourvue de mérite : le visage est empreint d’une gravité sereine, la draperie ajustée avec grace ; mais demander le portrait d’un prince et la statue d’une sainte pour récompenser l’auteur d’un crocodile et d’un lion, c’est à coup sûr une étrange manière de distribuer les travaux. Quoique M. Barye ait montré dans le Martyre de saint Sébastien une connaissance profonde de l’anatomie humaine, le bon sens le plus vulgaire prescrivait de l’encourager en tenant compte de sa prédilection pour les sujets que la sculpture dédaigne habituellement. Lorsqu’il fut question de couronner l’arc de l’Étoile et d’effacer la gibbosité qui domine l’acrotère, M. Barye fut chargé de présenter un projet. Son esquisse, connue de tous les artistes, remplissait toutes les conditions du programme. L’aigle impériale, ailes déployées, étreignait de ses serres puissantes les blasons animés des nations vaincues représentées aux quatre coins de l’acrotère par des fleuves enchaînés Était-il possible de couronner plus dignement le monument élevé à la gloire des armées françaises ? Pouvait-on espérer un projet qui s’accordât mieux avec les victoires gravées sur les faces de l’arc ? Austerlitz et Jemmapes, Arcole et Aboukir ne se trouvaient-ils pas résumés dans ce couronnement imaginé par M. Barye ? Personne n’oserait le contester. Le bon sens, l’évidence, parlaient pour lui. Puis survinrent les scrupules diplomatiques ; l’homme d’esprit qui avait eu l’heureuse idée de s’adresser à M. Barye craignit de blesser l’amour-propre des chancelleries en acceptant son projet, et l’esquisse si justement admirée fut bientôt condamnée à l’oubli. Ou je m’abuse étrangement, ou l’abandon de ce projet n’apaisera pas l’amour-propre des chancelleries. Couronné ou non de l’aigle impériale, l’arc de l’Étoile raconte tous les yeux les triomphes militaires de la convention, du directoire, du consulat et de l’empire. Tant que l’histoire ne sera pas effacée, tant que le vent ne pourra pas balayer comme la poussière le souvenir des faits accomplis, le projet de M. Barye sera sans danger pour la paix du monde ; et comme il achèverait d’une manière excellente un monument dont l’exécution mérite plus d’un reproche, l’homme d’état qui reprendrait ce projet et s’emploierait à le réaliser obtiendrait, je j’en doute pas, l’approbation de tous les esprits sensés. Grace à lui, M. Barye, dont la place est marquée au premier rang parmi les statuaires de notre âge, montrerait enfin tout ce qu’il peut faire pour l’art monumental.


GUSTAVE PLANCHE.