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moment où celui-ci allait atteindre les premières maisons du faubourg. Il l’aperçut, lui fit un geste de la main et cria tout en galopant :

Adios, Rosita !

— Il n’est pas parti, c’est impossible ! se dit la jeune fille : — Et elle courut à l’hôtel de la marquise. — Don Patricio, le cavalier étranger, va-t-il bientôt rentrer de la promenade ? demanda-t-elle au nègre, qui accordait sa guitare et s’essuyait les yeux du revers de la main.

— Il ne reviendra de sa promenade ni aujourd’hui ni demain, niña, répondit le portier. Ses bagages ont été expédiés hier soir, et il parti.

— Pour toujours ?

— Est-ce que je lui ai demandé où il va ? Et qu’est-ce que cela te fait, à toi, niña ? Voyez un peu comme ces jeunes filles sont curieuses ? Ah ! c’était là un patron généreux, affable, point fier, qui ne rentrait jamais à des heures indues, comme tant d’autres étrangers qui ont la bouche pleine de dures paroles et la main vide. Tu ne sais pas ce que je perds à son départ… Ah ! mon Dieu ! je crois que je vais pleurer comme un enfant…

— Parti ! parti !… répétait Rosita navrée de douleur, sans me dire une parole d’adieu ; sans m’avertir comme il me l’avait promis !… Il faut que je le voie, que je lui parle…

Haletante, vaincue par l’émotion, elle s’était assise un instant sur une borne, près de défaillir ; tout à coup, rassemblant ses forces, elle se prit à courir dans la direction de la route que venait de suivre don Patricio. À cent pas de là, un mulâtre lui barra le passage.

— Halte là, Rosita ! Où cours-tu si vite, ma belle ?

— Laissez-moi, répondit la jeune fille en levant sur le mulâtre des yeux égarés ; que me voulez-vous ? qui êtes-vous ?

— Qui je suis ? Tu ne reconnais pas celui qui t’a vendu pour quatre réaux le meilleur billet de la loterie ? Combien me donneras-tu pour la nouvelle que je t’apporte ? Depuis ce matin, je te cherche par toutes les rues de Lima ; tu pleures, fillette, et moi, je vais te faire rire… Les quarante mille piastres sont à toi !

— À moi, à moi les quarante mille piastres !… Amenez-moi une voiture, des chevaux, un équipage, que je le rattrape… Quarante mille piastres, Jesus Maria ! Quand il me saura si riche, il m’épousera, j’en suis sûre… Oh ! mon Dieu ! si ce bonheur là m’était arrive hier…

Puis, sans répondre au mulâtre, qui la regardait la bouche béante et lui tendait la main, Rosita s’élança sur la route du Callao. Ivre de joie, folle d’espérance et en proie à une anxiété qui croissait de minute en minute, elle s’arrêtait souvent pour prendre haleine. Ses souliers de satin la gênaient dans sa course ; elle les ôta et marcha sur