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guerres de l’indépendance, me légua sa fille : c’était un lourd fardeau. L’enfant, — elle avait quinze ans, — ma faisait tourner la tête par ses caprices, par ses étourderies de tous les instans. Heureusement je la mariai de bonne heure au sacristain d’une petite paroisse du faubourg, honnête garçon qui la prit en affection et n’eut pas trop à se plaindre d’elle ; mais cette femme a une fille qu’elle ne surveille guère, et qui, je le crains, me causera plus d’embarras que sa mère. En attendant que, je lui trouve un mari, elle trotte le soir sur la grande place avec une désinvolture, une imprudence qui me causent des inquiétudes sérieuses… Ne vous a-t-elle point encore abordé, don Patricio ?

À cette brusque question, le jeune lieutenant releva la tête avec une fierté dédaigneuse. – En vérité, don Gregorio, voilà d’étranges paroles dans la bouche d’un homme de votre caractère ! Ou je me trompe fort, ou vous me prenez pour un chercheur d’aventures, à qui vous croyez devoir donner, par acquit de conscience, un avis en passant. Et puis, je vous le demande, quel intérêt si vif pouvez-vous porter à une jeune fille qui vous le supposez vous-même, aurait abordé un étranger en pleine rue ?

— L’intérêt qu’inspire un enfant qui joue avec le danger, répliqua don Gregorio. Cette jeune fille n’est ni une effrontée ni une folle ; comme tant d’autres de son âge et de sa condition, elle se lance, sans autre guide que ses passions naissantes, à travers un monde qui lui sourit… et de plus elle est de son pays ! Et vous, que je considère comme un sage, entendez-vous ? mais qui n’avez pas l’expérience des piéges qui vous entourent ; vous êtes déjà complice des illusions qui fascinent ce jeune cœur. Elle vous a fait connaître ses sentimens, et vous y avez répondu… Vous l’avez fait sans le savoir, je vous excuse donc. À l’avenir cependant, je vous recommande plus de prudence. Ne donnez jamais ici un réal sans savoir quelle main vous est tendue. Une bonne intention peut conduire à des résultats déplorables.

Don Patricio n’eut pas de peine à trouver dans ses souvenirs l’explication de ces paroles, qui firent sur son esprit une double impression. Il était médiocrement flatté d’avoir attiré l’attention d’une Péruvienne de bas étage, dont le chanoine avouait si franchement la mauvaise éducation et l’étourderie. Cependant, si la fierté naturelle de don Patricio le mettait à l’abri de certaines séductions vulgaires, sa curiosité s’éveillait au sujet de cette jeune fille romanesque et hardie qui, sans le connaître, semblait s’attacher à ses pas et le poursuivre d’une vague affection. Par un mouvement rapide de la pensée, il compara ces mœurs naïves et relâchées aux mœurs simples et pures de son pays ; le visage vénéré de sa vieille mère, la figure chaste et angélique de sa jeune sœur, se présentèrent à lui avec tant de force, qu’il rougit. À son