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auxquelles on travaille depuis tant d’années où l’on a dépensé tant de combinaisons ingénieuses, n’auront jamais le même succès que l’improvisation de verre et de fonte à laquelle le jardinier du duc de Devonshire doit maintenant une célébrité européenne. Ce qui a fait la fortune du Palais de cristal, c’est l’admirable convenance avec laquelle il était approprié à sa destination, et d’avoir trouvé cette convenance, c’est bien une qualité de l’esprit anglais. À Westminster, au contraire, on a plutôt cherché l’art que l’utile, ce qui n’est pas selon les tendances naturelles du pays, et si l’on ne peut dire qu’on n’ait jamais atteint le but qu’on cherchait, il s’en faut certes qu’on l’ait jamais touché du premier coup. Après des tâtonnemens et des remaniemenss trop nombreux, après des essais de décoration riche, dont le luxe était en contradiction trop flagrante avec la simplicité de rigueur pour une enceinte législative, le parlement anglais n’aura point encore dans cet édifice, où l’on a trop poursuivi l’imitation du moyen-âge, un palais réellement adapté à son usage, comme le palais de cristal est adapté aux besoins de la grande exhibition. Maintenant cette appropriation si parfaite, qui constitue la principale beauté de l’immense maison de verre, subsistera-t-elle toujours, si l’on vient à tirer de la maison un autre parti ? La beauté sera-t-elle la même quand cette voûte transparente ne couvrira plus les trésors qu’elle abrite aujourd’hui, quand elle ne sera plus éclairée par les soleils d’été ? Voilà sur quoi l’on a voulu se donner le temps de réfléchir en demandant un sursis qui prolongeât par-delà l’hiver l’existence du Palais de cristal. On a répondu de la sorte au pétitionnement qui s’était organisé en faveur de l’œuvre de M. Paxton ; mais la question reste ouverte, et elle est encore à l’étude. Le ministère, quant à lui, n’a voulu se prononcer ni dans un sens ni dans l’autre, fidèle en cette occasion à l’habitude qu’il a prise, en des rencontres plus sérieuses, d’échapper autant que possible à la responsabilité.

En effet si le Palais de cristal a des apologistes passionnés, il ne manque pas non plus de détracteurs. Pour des enthousiastes, qu’on en rencontre, par exemple,un plus convaincu que ce correspondant du Post qui ne rêve rien moins que de racheter la dette publique de l’Angleterre avec le surplus des recettes du Palais de cristal ! Il faudrait assurément, à ce compte-là, le garder debout encore plus de huit mois. Les ennemis qu’il s’est attirés, comme toute grande chose en ce monde, appartiennent à plusieurs catégories. Il y a d’abord ces architectes de profession dont nous parlions tout à l’heure, qui se fâchent d’une concurrence imprévue, qui soutiennent que ce n’est point là une œuvre d’art qui ait droit à tant de respect, que c’est un hangar gigantesque et rien de plus, une serre pareille à toutes les serres de jardin ; lisez l’Architectural Quarterly Review ! Il y a ensuite les amateurs de Hyde-Park, qui n’entendent point qu’on les prive indéfiniment de leur promenade favorite, et parmi ceux-ci, sans doute, les avocats courroucés de la vieille Anne Hicks,dont l’histoire a été tout un jour l’événement de Londres. C’est une histoire très anglaise. Mistress Anne Hicks n’est ni plus ni moins qu’une marchande de pommes et de gâteaux qu’on a chassée dernièrement de Hyde-Park, où elle s’était peu à peu érigé un petit fief aux déoens de la couronne, et pour la plus grande joie de sa jeune clientelle. Son aïeul avait, il y a cent ans, tiré le roi George II de la Serpentine, où il s’allait noyer, et le prince reconnaissant avait donné à son sauveur, pour lui et ses hoirs,