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le shiboleth auquel on distingue leur caste. — Vous êtes la majorité, nous disent-ils ; belle avance ! nous sommes la république, et le dernier d’entre nous en qui la république s’incarne est, dans son unique individu pourvu d’un droit supérieur à ceux que vous aurez jamais tous ensemble ! — Ah ! répondrons-nous, si vous êtes la république à vous tout seuls, vous avez tort de vous en vanter, car votre vanterie la juge et la condamne. La majorité d’un côté, la république de l’autre ! voilà l’enseignement par lequel la montagne se propose d’apprendre au peuple le respect des institutions dont elle nous annonce qu’elle se fait gardienne ! Qu’est-ce qu’il reste des institutions établies, quand on les proclame ainsi vides de sens et de réalité ? quand on crie aux oreilles de la foule : Vous avez une administration, une magistrature, une représentation nationale ; tout cela n’est plus que vaine apparence légale, ce n’est que la majorité, comme qui dirait l’enveloppe morte, le cadavre de la république ! Mais l’ame de la république, c’est en nous qu’elle réside, en nous qui ne sommes pas un pouvoir organisé, qui ne sommes qu’une fraction dans une fraction au sein du parlement, en nous, individus isolés, dont les noms se réunissent au bas de ce placard, sans autre lien positif que notre commune inspiration. Nous avons la grace d’état, l’inspiration républicaine c’est pourquoi nous sommes la république. — Et puis qu’arrive-t-il ? S’il n’est point d’autre raison d’autorité, d’autre justification du commandement qu’on exerce que cette possession d’une grace spéciale, qui est-ce qui n’a pas la grace ? Et de proche en proche, à l’exemple de la montagne parlementaire, la démagogie française se recrute de ces inspirés d’une nouvelle espèce, qui pensent, qui écrivent, qui prêchent : La majorité n’est pas avec moi ; qu’importe, puisque c’est moi qui suis la république ? La république recommence de la sorte, pour ainsi parler, avec chaque ambitieux peut-être avec chaque intrigant. Dès qu’on ne la place point dans les institutions reconnues, dans un établissement officiel, il faut bien la placer au dedans de soi-même, dans sa propre infatuation, dans l’idéal plus ou moins niais, plus ou moins criminel de ses passions et de ses rêves. Toutes ces passions désordonnées, qui se débattent au fond des régions inférieures, rivalisent perpétuellement d’efforts pour s’introduire jusqu’au sanctuaire du pouvoir et s’en emparer. Nous avons déjà dit quelque chose de cette pression du dehors qui pèse sur nos montagnards attitrés, et les oblige indéfiniment, ou à marcher, ou à s’en donner l’air : ce sont les enfans de leur doctrine qui les poussent, et qui, s’intitulant eux-mêmes la pure république, aussi bien que le peuvent faire les plus illustres, veulent toujours une république plus active et plus violente que ces illustres, toujours un peu somnolens dans leur gloire.

Ce qu’on a déjà lu du procès qui s’instruit maintenant à Lyon est un triste et curieux témoignage qui atteste trop catégoriquement la contagion de cette doctrine que nous ne saurions trop flétrir. Nous touchons discrètement a une cause encore pendante : nous n’avons point pour des accusés cette sympathie de convention qui, par système, les déclare d’avance innocens, nous n’aimons point ce moderne relâchement de la conscience publique qui fait trop dire et trop tôt le res sacra miser ; mais c’est assez de la froide sévérité de la raison pour ne point anticiper sur les arrêts de la justice. Ce n’est pas tant d’ailleurs au point de vue judiciaire, c’est surtout pour l’histoire des mœurs de notre époque qu’il y dans le procès de Lyon des pièces auxquelles il faut donner