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sans cesse renouvelé. Rien de convenu, rien de systématique, la nature prise sur le fait et librement interprétée. Souplesse, abondance, force et grace, rien ne manque à cette merveilleuse créature pour enchanter son amant. Roger, qui la tient dans ses bras, couvert d’une solide armure, ajoute encore à la beauté de la femme qui lui appartient par l’énergie de son attitude, par la puissance de son regard. Il la couve d’un œil si amoureux, il la domine si résolûment par la passion qui le possède, que le désir prête un nouveau prix à cette divine créature. Je ne crois pas qu’il soit possible de nous présenter Angélique et Roger sous un aspect plus séduisant. Tous ceux qui voyaient dans M. Barye un homme dévoué sans retour à l’expression de la force ont dû être bien étonnés. Quant aux esprits éclairés, ils ont accueilli avec bonheur, mais sans surprise, cette nouvelle face du talent de M. Barge.

L’hippogriffe, dont le type esquissé par l’Arioste laissait d’ailleurs pleine carrière à la fantaisie de l’artiste, n’a pas été compris par M. Barye moins heureusement qu’Angélique et Roger. Ce cheval merveilleux, dont la nature ne fournit pas le modèle, qui tient à la fois de l’aigle et du cheval, dévore l’espace comme le coursier de Job, et souffle le feu par ses naseaux dilatés. Les ailes attachées aux épaules, tout à la fois légères et puissantes, se meuvent avec une rapidité qui défie le regard. Enfin il y a dans tout cet ensemble singulier une combinaison si habile, une adresse si parfaite, que l’étonnement s’apaise bien vite et fait place à l’étude la plus attentive. L’hippogriffe de M. Barye est si naturellement conçu, qu’il perd son caractère fabuleux. Quoique la science n’ait encore rien découvert de pareil, et nous prouve même par des raisons victorieuses que rien de pareil ne s’offrira jamais à nos yeux, nous acceptons volontiers l’hippogriffe comme un cheval d’une nature particulière, mais qui a vécu, qui vit encore, et que nous pourrions rencontrer. Cette impression purement poétique, et que la réflexion désavoue, s’explique par la précision avec laquelle l’auteur a su souder ensemble, et par un art qui lui est personnel, le cheval et l’oiseau. S’il n’eût pas possédé d’une façon magistrale la pleine connaissance de ces deux natures si diverses, il n’eût jamais réussi à les accoupler sous cette forme harmonieuse. Initié à tous les secrets de leur structure, il a pu sans effort, réunir les ailes de l’aigle aux épaules du cheval.

Le serpent placé sous l’hippogriffe appartient aussi tout entier à la fantaisie. La riche collection du Muséum n’offre pas le type représenté par M. Barye ; mais ici encore la science est venue au secours de l’imagination. Avec le corps d’un serpent et la tête d’un dauphin, l’auteur a composé un être sans nom, que jamais l’œil humain n’a contemplé, et qui pourtant n’a rien de singulier ; la tête et le corps sont si habilement réunis, que la singularité disparaît. Ainsi toutes les parties de ce