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eût montré ce qu’elle avait d’héroïque. Tous ceux qui l’ont vue dans les jours où le péril arrivait devant elle sous la forme d’une menace, et non pas sous la forme d’un malheur, ont gardé de son courage et de sa grandeur d’ame un souvenir ineffaçable. « Dans la soirée du 5 octobre, elle reçut un monde considérable dans son grand cabinet, parla avec force et dignité à tout ce qui l’approchait, et communiqua son assurance à ceux qui ne pouvaient lui cacher leurs alarmes. — Je sais, disait-elle, qu’on vient de Paris pour demander ma tête ; mais j’ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort, et je l’attendrai avec fermeté[1]. » Et l’admiration que la reine inspira ce soir-là fut si vive que dans son procès même, en 1793, il lui en revint un témoignage inattendu. Le comte d’Estaing, cité comme témoin contre la reine, déclara qu’ayant été au château dans la soirée du 5 octobre, comme commandant de la garde nationale de Versailles, « il entendit des conseillers de cour dire à l’accusée que le peuple de Paris allait arriver pour la massacrer, et qu’il fallait qu’elle partît ; à quoi elle avait répondu avec un grand caractère : — Si les Parisiens viennent ici pour m’assassiner, c’est aux pieds de mon mari que je le serai ; mais je ne fuirai pas. »

L’ACCUSÉE. — « Cela est exact : on voulait m’engager à partir seule, parce que, disait-on, il n’y avait que moi qui courais des dangers. Je fis la réponse dont parle le témoin. »

Ces paroles dans la bouche de la reine n’étaient pas de vaines paroles, et l’on sait comment, le 6 octobre au matin, quand on lui demanda de paraître au balcon de la cour de marbre, elle s’y présenta d’abord avec sa fille et son fils. « Pas d’enfans ! » cria-t-on : cri sinistre et qui semblait annoncer que les insurgés voulaient tirer sur la reine. Elle le crut elle-même, et, renvoyant ses enfans, elle s’avança sur le balcon comme si elle allait à la mort, mais ne changeant pas de visage. Ce jour-là, elle essaya l’échafaud, mais c’était là un échafaud qui lui convenait, puisqu’elle périssait reine encore, au milieu de sa cour, à Versailles, et, comme elle le voulait, à côté du roi.

Malheureusement cette reine, si bien faite pour une vie facile et brillante ou pour une vie de périls et d’aventures, n’avait pas ces qualités d’une reine habile, attentive, laborieuse, que lui demandait M. de la Marck. Elle n’était fille de Marie-Thérèse que pour les périls hardiment bravés ; elle ne l’était pas pour l’art et le travail du gouvernement. Quand même elle aurait eu l’art et le goût du gouvernement, je ne sais pas si elle aurait pu vaincre la révolution, enchaînée surtout comme elle l’était à la volonté faible et incertaine de Louis XVI et forcée

  1. Mémoires de Rivarol cités par M. de Bacourt dans l’Introduction de la Correspondance de Mirabeau, page 119.