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simplicité. Le travail est si bien déguisé, que chacun, parmi les ignorans, croit pouvoir en faire autant ; mais qu’ils prennent l’ébauchoir on la plume, et ils verront ce que vaut, quel prix a coûté cette simplicité qui semble à la portée de tout le monde !

Il y a dans le groupe du Minotaure et de Thésée un respect profond et sincère pour les leçons que l’antiquité nous a laissées, et en même temps un dédain absolu pour la manière infidèle dont les académies interprètent ses leçons. M. Barye a très nettement posé la question. Ayant à choisir entre le texte placé devant ses yeux et le commentaire qui en obscurcit le sens en voulant l’éclaircir, il a pris parti contre le commentaire. Écoutez les académies ; elles vous disent : Voici comment nous comprenons l’antiquité ; vouloir aller au-delà des limites qu’elle a posées serait pure folie. Imitez, et vous serez grands, car vos œuvres seront conformes au modèle qui résume toute vérité ; imitez, et ne vous lancez pas dans les hasards de l’invention, car l’invention, mauvaise conseillère, vous détournerait du modèle d’après lequel nous devons vous juger. À ces belles maximes, M. Barye et le bon sens répondent : L’antiquité que vous vantez n’a jamais posé de limites immuables dans le domaine de l’imagination ; l’antiquité dans sa partie la plus exquise, l’antiquité grecque, n’est qu’une marche sans halte et sans relâche. Pour demeurer fidèle aux traditions de l’art antique, il ne s’agit pas de copier les monumens qu’il nous a laissés, mais bien d’interroger la nature, comme il l’interrogeait en profitant du fruit de ses études. Accepter l’interprétation qu’il a donnée de la nature, sans recourir à la nature même, ce n’est pas respecter, mais dénaturer la méthode suivie par l’art antique ; ce n’est pas la prendre pour guide, c’est plutôt lui tourner le dos. Et je ne vois pas quelles objections peut soulever cette réponse, car les argumens dont elle se compose défient toute discussion : évidens et sans réplique, ils n’ont pas besoin d’être démontrés. Vouloir immobiliser l’art sous prétexte de le conserver, c’est tout simplement protester contre l’histoire de l’art. Qu’est-ce en effet que l’histoire de l’art ou de l’imagination, comme l’histoire de toutes nos facultés, sinon le mouvement manifesté par des œuvres dans l’ordre esthétique et scientifique, manifesté par des actions, par des événemens dans l’ordre politique ? Qu’il représente le combat du Minotaure et de Thésée ou tout autre sujet emprunté aux temps héroïques, le statuaire qui veut tenir compte de l’histoire, tenir compte des traditions de l’art antique, doit continuer le mouvement selon ses forces, et non le considérer comme accompli, comme épuisé. Le but suprême de l’art est de créer. Or il n’y a pas de création possible sans indépendance, sans volonté. L’imitation de la Grèce, si habile qu’elle soit, est aussi loin de l’invention que l’imitation littérale de la nature. Ces deux genres d’imitation, acceptables comme études préliminaires,