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ce morceau que je prends quelques détails qui montrent quel était le caractère de la reine.

Marie-Antoinette, qui aurait aimé à vivre, quoique reine et à la cour, dans un petit cercle de personnes aimables et affectueuses, s’imagina un instant avoir rencontré ce qu’elle cherchait dans la société de Mme de Polignac ; mais elle n’y trouva qu’une coterie qui se souvint du rang de la reine, non pas toujours pour la respecter, mais pour profiter de son pouvoir et pour s’en faire un moyen de fortune. La reine aimait Mme de Polignac, mais elle n’aimait pas son entourage, et elle se hasarda une fois à le dire à Mme de Polignac, qui, malgré sa douceur habituelle et la reconnaissance qu’elle devait avoir pour l’attachement que la reine lui témoignait et pour ses bienfaits, lui répondit : « Je pense que, parce que votre majesté veut bien venir dans mon salon, ce n’est pas une raison pour qu’elle prétende en exclure mes amis ; » et cette réponse dut paraître admirable, dans le cercle de Mme de Polignac. C’était le ton du temps. La révolution, en effet, a été, en haut, comme cela arrive toujours, avant d’avoir été en bas, et quand Mme de Polignac revendiquait le droit de recevoir également dans son salon tous ses amis, sans tenir compte des goûts de la reine, elle faisait, sans le savoir, une réponse révolutionnaire à une reine qui, sans le savoir non plus, avait eu aussi une idée révolutionnaire, en croyant qu’elle pouvait être dans un salon quelconque sur un pied d’égalité.

Non-seulement la reine ne trouva pas dans le cercle de Mme de Polignac le commerce aimable et doux dont son ame et son imagination avaient besoin ; elle y trouva aussi la médisance et la calomnie. « La reine, dit M. de La Marck[1] était très sensible à la grace ; la tournure chez les hommes, la figure chez les femmes, ne lui étaient pas indifférentes. » Au bal, elle aimait mieux un danseur élégant et bien tourné qu’un danseur gauche et embarrassé. Quoi de plus naturel ? La reine ne songeait pas à cacher son goût et sa préférence à ce sujet, parce que c’est le privilège des ames honnêtes, hommes ou femmes, d’avoir des goûts qui ne deviennent pas des passions et de ne pas les cacher.

C’est de ce côté cependant que la calomnie attaqua la reine, et M. de La Marck raconte avec indignation que, dans le cercle même de Mme de Polignac, on parlait avec malignité de ce que la reine aimait à danser des écossaises avec un jeune lord Strathavon, aux petits bals chez Mme d’Ossun. Un habitué du salon Polignac, et qui devait avant tout une profonde reconnaissance et les plus respectueux égards à la reine, fit contre elle un couplet très méchant, et ce couplet fondé sur un infame mensonge, alla circuler dans Paris. « Il faut le reconnaître, dit M. de La Marck, l’infortunée Marie-Antoinette a trouvé de bien dangereux

  1. Tome Ier, p. 31.