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roi, et qui sont le fond et le sujet de la correspondance avec M. de La Marck. Nous examinerons plus tard ce plan, qui n’est pas, disons-le dès ce moment, un plan de contre-révolution, mais un plan de gouvernement constitutionnel. Quant à l’homme qui doit exécuter ce plan, c’est Mirabeau lui-même, mais Mirabeau écouté et obéi. Il écrivait à M. de Lafayette[1] dans une de ces tentatives de rapprochement qui furent souvent faites entre M. de Lafayette et Mirabeau, et qui échouèrent toujours, il écrivait : « Je devrais être votre conseil habituel, votre ami abandonné, le dictateur enfin, permettez-moi le mot, du dictateur… Oh ! monsieur de Lafayette, Richelieu fut Richelieu contre la nation pour la cour, et, quoique Richelieu ait fait beaucoup de mal à la liberté publique, il fit une assez grande masse de bien à la monarchie. Soyez Richelieu sur la cour pour la nation, et vous referez la monarchie en agrandissant et consolidant la liberté publique. Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion, mon impulsion a besoin de vos grandes qualités, et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! — Ah ! vous forfaites à votre destinée ! »

Mirabeau, dans cette lettre disait beaucoup plus de bien qu’il n’en pensait de M. de Lafayette, parce que c’était à M. de Lafayette qu’il écrivait, mais il disait de lui-même ce qu’il pensait. Ce rôle de dictateur, de conseiller tout-puissant et absolu, voilà ce qu’il voulait avoir à la cour. Malheureusement, il en était du roi comme de M. de Lafayette : il ne voulait pas épouser Mirabeau. Ce qui manquait à Mirabeau à la cour, c’étaient des amis, des partisans, c’étaient enfin les appuis que donne la considération. Il crut un instant qu’il trouverait tout cela, et de plus un caractère décidé, dans la reine ; mais bientôt il s’aperçut que la reine elle-même n’avait, malgré ses grandes qualités, ni l’esprit de suite qu’il fallait avoir, ni surtout cette influence décisive sur le roi que Mirabeau cherchait partout. « Le roi n’a qu’un homme, disait-il, c’est sa femme, » et il ajoutait avec une effrayante prévoyance : « Il n’y a de sûreté pour elle que dans le rétablissement de l’autorité royale. J’aime à croire qu’elle ne voudrait pas de la vie sans la couronne ; mais ce dont je suis bien sûr, c’est qu’elle ne conservera pas sa vie, si elle ne conserve pas sa couronne[2]. » Un caractère

  1. 1er juin 1790, t. II, p. 21.
  2. Note du 20 juin 1790, t. II, p. 41.