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pas quinze pouces de proportion, et cependant il est beau, il est grand dans la plus large acception du mot. Qu’un homme riche et intelligent confie à l’auteur le soin de traduire sa pensée dans les dimensions de la nature, et je m’assure que le modèle n’aura rien à perdre dans cette transformation, car il n’y a pas un seul détail escamoté dans cette composition, que chacun peut prendre dans sa main. Le minotaure, qui lutte corps à corps avec Thésée, dont les membres s’entrelacent aux membres du héros, contraste heureusement par sa force pesante avec la force agile de son adversaire. La tête du taureau, placée sur ce corps humain, respire une brutalité farouche, et semble destinée à rendre plus frappante l’intelligence et la finesse qui animent tous les traits de Thésée. Le spectateur, en contemplant cette lutte, comprend que le minotaure sera vaincu, car il devine que Thésée mesure ses coups au lieu de les multiplier, et que le monstre va bientôt rouler à ses pieds, étourdi et sanglant.

Si la division des plans de la poitrine dans le personnage purement humain rappelle un des plus beaux monumens de l’école attique, l’ensemble de la composition, par sa naïveté, par son énergie sauvage, nous reporte vers les marbres d’Égine, placés aujourd’hui dans le musée de Munich, et trop peu connus chez nous, bien que nous en possédions la série complète. Les fragmens moulés très fidèlement sur les originaux de Munich sont si mal disposés pour l’étude, que les sculpteurs les consultent rarement. Or, les marbres d’Égine, très inférieurs aux marbres d’Athènes sous le rapport de l’exécution, soutiennent glorieusement la comparaison sous le rapport de l’expression. Tous ceux qui les ont vus soit à Munich, soit à Rome, dans le palais de Saint-Jean de Latran, où la collection complète est si admirablement éclairée, savent à quoi s’en tenir sur la valeur expressive de ces figures. Le Thésée de M. Barye, plus savant et plus pur que les marbres d’Égine, réveille pourtant dans notre esprit le souvenir de ces œuvres naïves. Je me hâte d’ajouter que le statuaire français n’a copié dans son groupe de Thésée aucun des combattans qui décoraient le temple d’Égine ; il s’est adressé tour à tour aux plus grandes écoles pour recueillir leurs conseils, et non pour abdiquer l’indépendance de sa pensée.

Du Caïn maudit au Thésée victorieux, quel immense intervalle ? L’oeuvre du jeune homme, énergique et vraie, était pleine de promesses ; l’œuvre de l’artiste arrivé à sa maturité réalise toutes les espérances éveillées par le Caïn : simplicité de pantomime, élégance d’exécution, choix heureux de lignes harmonieuses, tout se trouve réuni dans cette œuvre, si habilement conçue, que les ignorans peuvent dire en la regardant, comme après avoir lu une fable de La Fontaine : Qui de nous n’en ferait pas autant ? C’est là, en effet, le caractère distinctif de toutes les compositions qui se recommandent par la