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— Allez, et pendant ce temps je me mettrai enquête d’un passage, répondit Andrès.

Berrendo fut quelque temps à revenir à l’endroit où il avait laissé son compagnon. Il avait amené avec lui six cavaliers des moins fatigués et six pionniers armés de leurs haches. Le chercheur de traces n’était plus là ; mais Berrendo entendit sa voix à quelque distance et l’eut bientôt rejoint : c’était à un endroit où les rochers des rives s’avançaient au-dessus du fleuve de manière à se rapprocher, non par la base, mais par le sommet, d’une vingtaine de pieds. Les Jarochos ou les. Indiens avaient jeté, d’une rive à l’autre, un de ces ponts de bois comme on en trouve souvent au Mexique. Les lianes qui pendaient aux arbres servaient d’étrier à des planches ; liées bout à bout avec des lanières de peau, et formaient au-dessus du fleuve un pont sur lequel deux hommes pouvaient à peine marcher de front, un pont mobile comme les lianes qui le suspendaient, mais d’une solidité à supporter le passage d’une artillerie de léger calibre ; le corps d’expédition en avait déjà traversé de semblables sans accident.

- C’est bien, Andrès, dit Berrendo ; mais, pour aujourd’hui, nos hommes n’iront pas plus loin ; leurs chevaux sont aussi harassés qu’eux ; et je viens d’apprendre que le général a réuni un conseil de guerre pour examiner s’il était prudent de s’engager plus loin, sur vos traces, dans ce labyrinthe de forêts et de terrains noyés.

— Le général n’a donc plus confiance en moi ! s’écria Andrès avec vivacité.

— Je ne dis pas cela ; mais on prétend que votre sagacité est en défaut, puisque vous soutenez que ce fleuve n’est pas le Playa-Vicente. Quant à votre loyauté, personne ne la met en doute.

— On a raison, reprit le chercheur de traces d’un ton sombre, car je saurais mourir au besoin pour qu’on n’en pût douter.

Laissant les douze hommes d’escorte les attendre près du pont, le chercheur de traces et Berrendo le traversèrent pour aller reconnaître les lieux. Les troupes en effet étaient si découragées, si fatiguées d’une marche au milieu de terrains fangeux, qu’une attaque subite aurait été la perte de l’expédition. Du côté opposé du fleuve, c’était le même silence la même solitude que sur l’autre rive. Pendant plus d’une heure, les deux guides battirent les bois, les plaines et les clairières ; les seules traces qu’ils purent y trouver furent celles des ânes, que les Indiens amènent avec eux pour charger le bois mort qu’ils vendent dans les villages et les seuls êtres vivans qu’ils rencontrèrent dans cette solitude furent précisément un Indien et sa femme qui poussaient devant eux une demi-douzaine de bêtes chargées des branchages qu’ils avaient ramassés.