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sauvagerie farouche de sa fille et la peinture de la détresse d’une veuve et d’une orpheline loin du chef de leur famille ; elle fit si bien luire aux yeux des deux galans l’espoir de la plus douce récompense, que chacun d’eux ; sûr de l’emporter sur son rival, promit d’accompagner la mère et la fille jusqu’au bout du monde, sans briser les liens encore mal serrés d’une récente amitié ; puis, pour battre le fer tandis qu’il était chaud, la prudente vieille fixa au surlendemain matin le jour de leur départ pour Tehuacan, après quoi l’un et l’autre regagnèrent leur logis.

— Tu vois, Luz, dit la mère triomphante, que tout dépend de la manière de s’y prendre, et que j’ai rivé la chaîne sur deux cœurs dont tu peux à ton gré disposer désormais.

La vieille disait si vrai, qu’au point du jour, ainsi qu’ils en étaient convenus, Andrès et Berrendo cheminaient aussi pacifiquement que si rien ne s’était passé la veille, depuis leur rencontre dans l’église, vers la caverne de Pucuaro. Une demi-heure après, ils attachaient leurs chevaux aux branches du chêne qui masquait l’entrée de la grotte. Le manteau de lierre flottait aussi intact, du moins en apparence, que lorsque Berrendo l’avait soulevé la veille ; mais, à l’œil exercé du chercheur de traces, les faisceaux de feuilles, quoique imperceptiblement froissés, indiquaient que le pan de verdure avait été bien des fois soulevé par de fréquentes allées et venues. Cependant Berrendo avant de pénétrer dans la caverne ; dont les bruits étranges l’avaient si fort effrayé, demanda au rastreador s’il avait quelque mot d’ordre plus particulier que celui qu’on lui avait donné à lui-même, car il eût été imprudent d’éveiller la défiance des agens de don Ramon. Tapia le rassura sur ce point, et tous deux pénétrèrent résolument dans la caverne ; toutefois, comme ils ignoraient encore à qui ils allaient avoir affaire, ils n’avancèrent qu’avec circonspection.

À peine avaient-ils fait quelques pas à tâtons (car le pan de lierre interceptait la clarté du jour), que des bruits vagues parvinrent jusqu’à eux. Toutes vagues que fussent ces rumeurs, le son des voix humaines s’y mêlait à coup sûr. Bientôt la cause de ces rumeurs fut expliquée aux deux compagnons. Au sortir d’un défilé qui donnait accès dans la partie la plus vaste du souterrain, ils s’arrêtèrent devant un étrange spectacle. Les lueurs que jetaient d’énormes fourneaux allumés montraient sous une immense coupole de granit de hautes et nombreuses colonnes formées par l’infiltration des eaux. Le reflet des feux éclairait une multitude d’hommes qui allaient et venaient, de longs jets de métal incandescent qui ruisselaient des creusets, et plus loin des chevaux attachés aux parois, sellés, bridés, prêts à être montés au besoin.

— Que vous avais-je dit ? s’écria le chercheur de traces. N’est-ce pas ici la maestranza de don Ramon ? Ce ne sont certes pas les Espagnols