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véhémence de l’effroi. — Entre toutes les voies, me dis-je, il doit y en avoir une qui soit la meilleure. À moi de tendre mes facultés pour la découvrir, et, quand je l’aurai trouvée, pour faire profiter mes semblables de ma découverte. C’est là mon rôle terrestre, à moi ; celui de Dieu est au-dessus et distinct. Pour ma part, je suis un homme allié à des hommes, et non une brute parmi des brutes. Dans ce qui peut m’arriver de bon, il faut que les autres aient leur part ; si mes efforts pour les associer à mes gains n’aboutissent à rien Dieu reste, et il me reste à moi la joie de penser que Dieu, par ses voies impénétrables à lui, peut ramener à un unique sentier et y ramène en effet (je veux le croire) tous les voyageurs disséminés. En attendant, je ne puis attester que ce qui a été fait pour moi ; je ne puis témoigner que du soin que Dieu a pris de moi. C’est pour mon propre compte seulement que je sais. Le monde avec ses témoignages roule autour de moi pour me laisser comme il m’a trouvé ; les hommes y poussent leurs cris, mais mon oreille est paresseuse ; leurs générations fleurissent ou s’en vont, que sont-elles tandis que cette voie lumineuse avec ses myriades de soleils partage la voûte du ciel ? Comme mon esprit répare vite sa faute, quand, secouant la torpeur des sens, il se reporte sur ma propre vie ! À ce point de vue, il n’est pas un espace d’atome où ne fourmillent par multitudes les manifestations de la Providence. Et malheur à moi si en face de ce livre, le seul qui me soit ouvert, je ne lisais que des yeux, si je ne savais pas comprendre les avertissemens qui y sont écrits ! Ce soir même, cette nuit de Noël, ai-je été certain que Dieu de sa propre main avait tissé l’arc-en-ciel d’où sa vérité est descendue du ciel dans mon ame ? Je ne puis pas obliger le monde à admettre que c’est lui qui s’est penché vers mon ame pour la guérir ; je ne le puis pas plus que si, dans le coup de tonnerre où l’un a entend un bruit, où l’autre a vu une flamme, j’avais moi seul entendu mon nom prononcé par sa voix. Mais qu’ai-je à m’affliger ou à me réjouir des jugemens du monde, quand demain il détournera à peine la tête pour dire : Cet homme est mort ! »

Il n’y a pas à s’y méprendre, M. Browning est bien là dans son vieux domaine, et son second poème nous conduit au même endroit, ni sur la terre ni au ciel, mais en quelque sorte sous la surface concave des choses terrestres, au milieu même des génies souterrains qui façonnent les effets visibles. Çà et là leur marteau fait tomber un morceau de la croûte solide qui se présente par son côté convexe ; çà et là aussi on entrevoit par quelques fissures les vastes cieux, — ils ne sont pas sans nuages, il est vrai ; — au milieu de leurs astres aussi, on aperçoit quelques comètes errantes, mais les étoiles fixes sont là. Pour descendre de ces hauteurs, on pourrait reprocher cette fois à M. Browning plus d’une tache de style, plus d’une expression manquant de justesse, plus d’une combinaison d’impressions rapprochées par le hasard dans sa tête. Malgré tout, la Nuit de Noël et le Jour de Pâques ne font que me confirmer dans une idée qui sera ma conclusion.

En demandant pardon au poète de le disséquer ainsi tout vivant, je crois que son séjour dans le drame a été comme le professorat à Bâle