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jour pour tous sous mille formes diverses. Aprile, c’est cette partie de notre nature que nous violentons d’abord au profit de nos instincts dominans, et qui tôt ou tard réclame ses droits en nous apprenant son existence par des souffrances. Pour celui qui n’a songé qu’à jouir, le visiteur inattendu est quelquefois la raison qui lui dit : Je suis là. Pour Paracelse, qui a sacrifié sa vie entière au désir de connaître, Aprile est le besoin d’aimer, de jouir, de vivre enfin, non plus pour acquérir des facultés, mais pour produire des résultats et retirer quelque profit d’avoir été homme. Puis tout à coup l’apparition se transforme. Dans les conseils qu’il donne au savant, Aprile devient le type de l’amour qui doit, à une époque meilleure, partager la royauté de l’intelligence. Il est l’amour, comme M. Browning se plaît souvent à l’entendre, c’est-à-dire la bienveillance et la philanthropie qui ne répètent plus : Périsse le monde plutôt que mes volontés ! — c’est-à-dire aussi l’aspiration ; qui n’est plus uniquement le culte de nous-mêmes et de nos idées, c’est-à-dire l’activité et le dévouement qui, au lieu d’être les seïdes quand même d’un idéal, n’aiment au contraire dans leur idéal que les applications salutaires qu’ils voient jour à en tirer. Pour tout résumer en un mot, le mystérieux ami qui est apparu au plus fort de la fatigue montre du doigt le véritable génie : la force humaine résignée et toujours prête a répondre à son maître : Que ta volonté soit faite !

C’est au milieu de son œuvre que M. Browning a placé la visite d’Aprile, et il a eu raison. Tout le début du poème, depuis les premiers tressaillemens du génie encore ignorant de Paracelse jusqu’à ses déceptions, eût pu être également l’histoire de ceux qui arrivent et l’histoire de ceux qui restent en chemin. Il n’en est plus ainsi de la seconde partie. La borne où l’on bifurque est passée. Pour ceux qui doivent arriver, le besoin de jouir et de moissonner qu’amène l’âge mur est un nouveau secours aussi nécessaire à son heure que les illusions à la leur. Après avoir été trop exigeans, après avoir par exemple rêvé, comme Luther, la foi qui vient de Dieu seul et qui suffit à tout, ils savent renier leur rêve en face des révoltes des anabaptistes. Je dis mal ; ils continuent à vouloir leur rêve en apprenant à vouloir également ce qu’il faut d’autorité pour le rendre compatible avec les nécessités dont ils ne se doutaient pas d’abord, et de la sorte ils fondent quelque chose. C’est là la bonne route : ce ne fut pas celle que suivit Paracelse ou plutôt il l’abandonna trop vite. Il avait un instant écouté le conseil d’Aprile, et il eut ses jours féconds ; mais l’aigreur et la colère lui vinrent trop vite en face des résistances qui s’opposaient à sa volonté.

« Lorsque les hommes, dit-il, reçurent avec un stupide étonnement mes premières révélations, leur encens me souleva le cœur. Lorsque plus tard, avec les yeux dégrisés, ils se vengèrent de leur crédulité passée en conspuant mes connaissances réelles, je les pris en haine. Et pourquoi ? C’est que dans mon