Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désoler beaucoup de l’avortement de vos premières espérances ; peut-être m’en réjouirais-je plutôt. Qu’elles aient été trop sublimes pour se réaliser, c’est un mérite de plus pour vous ; vous ne vous êtes pas cramponné aveuglément à elles, pour périr avec elles. Vous n’avez pas haineusement refusé de vous relever, parce qu’un ange vous avait terrassé, vous qui n’aviez pas d’égal sur la terre. Quoique la transition ait été trop brusque et trop rude pour ne pas vous faire souffrir, pourtant vous suivez votre pénible sentier, comme s’il était jonché de fleurs ; c’est bien. Et la récompense vous viendra de celui que nul jamais servi en vain.

« PARACELSE. — Cela est fort beau ; moi, j’imagine que, pour être conséquent avec moi-même, je devrais mourir sur l’heure. Et pourtant, faut-il l’avouer ? comment ce sentiment s’est glissé et développé en moi, je l’ignore ; mais il est là. J’éprouve un regret aussi passionné pour la jeunesse, pour la santé et pour l’amour ; que si la jouissance de ces biens avait été le premier et l’unique objet de mes pensées. Cela m’a profondément humilié, et cela a certainement pesé son poids pour me rendre plus docile à un certain conseil, à un mystérieux avis que vous ne comprendrez pas. Il m’est venu d’un homme que j’avais rencontré moribond, et qui m’a recommandé, si je voulais échapper à sa désolante destinée, de travailler tout de suite pour mes semblables, de ne pas attendre plus long-temps une intervention de Dieu en ma faveur, mais de me défier de moi au lieu de compter sur le temps, et de faire profiter les hommes de ma moisson, si incomplète qu’elle fût. Je n’ai pas le loisir de vous exposer comment, depuis lors, une suite d’événemens m’a conduit ici, dans ce poste où il semble que je puisse utiliser les tristes débris de mon passé, et où je crois entrevoir comme un vague indice que Dieu voit et peut agréer mon expiation. En conséquence, c’est ici que vous me voyez, faisant le bien du mieux que je puis, et si les autres s’ébahissent beaucoup en profitant peu, ce n’est pas ma faute. Seulement je serai heureux quand la farce aura été jouée et que le rideau tombera. Jusque-là il s’agit de faire bonne contenance. »

La mystérieuse rencontre à laquelle Paracelse vient de faire allusion et que Festus ne doit pas comprendre forme un des épisodes importans du poème. Cet ami qui n’était pas attendu est Aprile, et il nous est présenté comme un poète italien qui vient mourir à Constantinople dans les bras du rêveur déçu, au plus fort de son abattement. Une sorte de chœur aérien annonce sa venue. Aprile croit entendre des voix qui l’appellent, celles des esprits qui ont achevé leur journée sans avoir commencé leur œuvre. Lui aussi a fini son temps ; il a voulu aimer sans faire autre chose qu’aimer, et il s’en va sans avoir commencée son œuvre.

Dire au juste tout ce que le poète a voulu personnifier dans cette figure n’est pas facile : non qu’elle soit vague pourtant, — du moins ce n’est pas ma pensée ; mais elle miroite sous le regard, parce qu’elle reflète à la fois un côté de trop de choses. J’ai déjà dit qu’elle pourrait bien être un emblème du génie antique qui finissait son temps. Je crois qu’elle est surtout sous une forme unique l’apparition qui vient un