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avec son mépris des à priori, les temps modernes en général avec leur mépris de l’idalisme que Rome la païenne partageait avec les ascètes chrétiens. C’est l’esprit pratique qui venait enseigner à l’homme à faire le meilleur usage possible de la vie, tandis que l’idéalisme romain ou monacal lui avait dit : — Méprise les choses de la terre ; fais-toi un idéal et offre-lui tout en holocauste ; fais-toi des principes, et périsse le monde plutôt que tes principes ! Décide ce que l’on doit voir dans tous les phénomènes avant de regarder ce qu’on peut y voir ; fais-toi des systèmes, et périssent toutes les indications de l’expérience plutôt que tes systèmes ! Ce n’est pas tout. Paracelse mourant et se jugeant lui-même représente en même temps le bien et le mal de ces tendances, ce qu’elles promettaient de glorieux et ce qu’elles ont produit de funeste. — Des progrès en germe dans des énergies qui ne se révélaient que par des erreurs et des échecs, tel est aussi l’alpha et l’oméga du quakérisme, du cartésianisme, du radicalisme. — Comme Paracelse, les adeptes de ces doctrines se sont éblouis à contempler les facultés disséminées tout à travers l’humanité et à rêver la perfection et toutes les merveilles qui pouvaient en sortir. Leur folie a été de vouloir quand même, et tout d’un coup, la réalisation définitive d’effets qui doivent demander des siècles pour se dérouler. Leur péché irrémissible a été de ne pas deviner à quoi servaient les règles, les académies et les autorités, et ils ont bouleversé le monde, parce que leurs rêveries supposaient à chaque individu humain toutes les facultés humaines, et parce qu’au lieu de procurer aux hommes ce qu’il fallait à des êtres comme ils étaient, elles ont prétendu leur donner et ne leur laisser que ce qui eut été nécessaire et suffisant pour des êtres comme ils n’étaient pas, pour des saints et des génies.

Paracelse a donc un sens historique. Il en a un autre plus vaste. Au lieu de la soif de connaître qu’il sent en lui, lisez la soif du plaisir ; au lieu des connaissances du passé qu’il rejette, lisez les convenances dont on se rit à vingt ans, quand on est dominé par la sensualité et non par le génie ; au lieu du besoin de vivre qui se réveille plus tard chez le penseur fatigué, lisez le besoin d’inspirer de l’estime et de faire une fin, et aussitôt le Paracelse de M. Browning devient l’emblème de toute jeunesse.

Il commence par étudier la science de son temps mais tout d’un coup il s’arrête et s’affaisse. « Il n’y avait pas jusqu’au moindre piocheur de l’école qui ne fût sûr de tout et parfaitement content de lui-même, nous dit-il mais-moi j’étais plein de doutes et de perplexités ; un mot suffit : je m’étais pris en dégoût, tant je me trouvais faible à côté des autres : » C’est le début, la puberté morale. Après être débarqué au milieu des choses qui se trouvaient avant lui sur la terre, il les a suffisamment essayées pour se révéler sa propre nature par ses impressions,