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ait cherché à ne point s’écarter de la vérité historique, il a laissé de côté et les opinions du célèbre médecin et les incidens de sa carrière aventureuse. Au lieu d’écrire la biographie de Philippe-Auréole Paracelse, né en 1493 à Einsiedeln ; il est parti de sa biographie pour tâcher de saisir les phases qu’avait dû traverser son esprit. À mieux dire, il a étudié chez lui la passion en deux actes de toutes les intelligences supérieures qui ont assez de génie pour sortir des voies de leur temps, mais trop peu de force pour traverser, sans défaillir, toutes les épreuves inévitablement attachées à l’initiation du novateur. La première partie du poème embrasse la jeunesse du héros, ce qu’elle croit pouvoir et ce qu’elle peut, ce qu’elle ambitionne et ce qu’elle obtient. Au début, nous sommes près de Wurzbourg, dans le jardin de Festus et de sa jeune épouse Micheline, qui s’entretiennent avec Paracelse de ses espérances, et qui s’efforcent en vain de le retenir auprès d’eux. Paracelse veut parcourir le monde pour y chercher la science qu’il ambitionne, la vérité universelle. La scène suivante nous le montre à Constantinople : il est déçu, harassé, tout prêt à désespérer de lui-même ; il n’est sauvé du désespoir que par la rencontre d’un personnage assez mystérieux qui a nom Aprile, et qui lui rend le courage de tenter encore quelque chose en lui apprenant à mettre moins haut ses espérances. Là finit la première journée du poème. La seconde s’ouvre à Bâle, où Paracelse professe la médecine et la chimie. C’est avec son même ami Festus qu’il s’entretient du but nouveau auquel il s’est voué depuis qu’il a été forcé de dire adieu à la science absolue. Il a donc sa seconde aspiration. Il professe. Après n’avoir songé qu’à s’éclairer lui même, il essaie d’éclairer les hommes : il renonce à acquérir davantage pour transmettre à d’autres ce qu’il a acquis ; mais, ici encore, ce qu’il se propose a pour lendemain ce qui l’empêche de réaliser tous ses désirs. Après la scène de ses triomphes comme professeur vient celle où il est forcé de quitter Bâle et les Bâlois, qui lui refusent jusqu’au prix de la santé qu’il a rendue aux moribonds. Il a retrouvé son ami à Colmar, et c’est lui qui raconte à Festus comment ses succès ont engendré des jalousies et comment la sotte adoration de ses admirateurs s’est changée en une sotte injustice. Que fera-t-il à l’avenir. Il n’ose pas se le demander : il a peur de son haineux mépris pour les hommes ; il a peur de trop relever le gant qui lui a été jeté, en répondant par la violence à ceux qui ne savent qu’insulter au mérite, en dupant les aveugles qui veulent être dupés, en se faisant charlatan pour ceux qui ne restent fidèles qu’aux charlatans, aux prophètes toujours disposés à promettre l’impossible. La conclusion du poème est l’hôpital de Salzbourg, où vient mourir Paracelse.

Dans son ensemble, on le voit, l’œuvre de M. Browning déroule une vieille histoire qui a reçu autant de noms que le juif errant. C’est la