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temps où bien peu entreprenaient le voyage de Grèce. Cette translation fut-elle un véritable service rendu à l’art ? Des hommes très autorisés ont pu le croire et l’imprimer ; d’autres, non moins compétens, le contestent ou le nient. La question est délicate et le doute permis ; mais sur les actes que voici, l’opinion est unanime. L’Angleterre travaillait à remettre la Turquie en possession de l’Égypte. Lord Elgin usa de sa position officielle d’ambassadeur à Constantinople pour escompter à son profit le service que le cabinet de Londres rendait à la Porte ottomane. Il n’obtint, il est vrai, qu’une modeste permission « de visiter et de copier les édifices de l’Acropole, et même d’emporter quelques pierres qu’il pourrait trouver en fouillant, autour des temples des idoles ; » mais, par une large interprétation de ce firman, l’honnête diplomate a jeté bas, et embarqué deux cent quarante-quatre bas reliefs ou statues, dont cinquante-six provenant du Parthénon. Cet ami éclairé des belles choses, au lieu de veiller à ce que l’on fît glisser avec précaution dans leurs coulisses les métopes qu’il dérobait, laissa les manœuvres turcs casser les corniches et les triglyphes. Enfin, et ce trait eût manqué, tel fut son amour religieux et désintéressé de l’antique, qu’il a vendu pour 25,000 livres sterling tout Phidias à son pays.

Ce déplorable exemple a été deux fois suivi, et chaque fois avec un surcroît d’audace. Lord Elgin avait feint de garder quelques formes : on les jugea superflues désormais. Sur les confins de la Triphylie et à Messénie, non loin de la côte occidentale du Péloponèse et presque au sommet du mont Cotylus, se voit un temple autrefois délié par les Phigaliens à Apollon Epicouros ou Secourable, qui les avait préservés d’une épidémie. Ravagé par les hommes, qui, au moyen-âge, en arrachèrent les scellemens de bronze, ébranlé par les tremblemens de terre, il présente encore, au milieu du désordre de ses débris confondus, un nombre considérable de parties intactes : ses ruines avaient caché, on ignore depuis quel temps, toute la frise de l’entablement composée de quatre-vingt-seize bas-reliefs et représentant le combat des Centaures contre les Lapithes et celui des Grecs contre les Amazones. Selon Pausanias, Ictinus construisit ce temple, et M. de Stackelberg pense que le sculpteur en fut Alcamènes. C’était donc un magnifique reste de la plus belle époque de l’art. En 1812, des Anglais, ayant entrepris des fouilles à cet endroit, découvrirent la frise sous les blocs amoncelés. « Le pacha de Morée, Vély, fils du fameux Ali de Tépélen, refusa toute permission d’emporter les sculptures retrouvées ; mais ce refus ne fit qu’irriter les désirs des Anglais : ils envoyèrent de Zante soixante hommes armés qui, à l’aide de paysans grecs ou abusés, chargèrent sur un vaisseau et ravirent les meilleurs de ces fragmens. Cette criante violation de tous les droits avait-elle du moins pour ruse une enthousiaste et irrésistible passion du beau ? Qu’on en juge. Deux ans après, les bas-reliefs de Phigalie étaient exposés dans l’une