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réitérées des Grecs pour chasser ces conquérans de passage. Quelques autres nations, tirant du même principe des conséquences différentes, ont semble se dire : « Les monumens grecs n’appartiennent pas aux Turcs, qui ne sont pas Grecs ; ils n’appartiennent pas non plus aux Grecs, qui sont esclaves ; ils sont donc au premier occupant. » Et là-dessus elles ont, en sûreté de conscience, mis la main sur les plus beaux restes de l’antique. Si la Grèce ne se fût affranchie, nul doute que la passion toujours croissante des monumens anciens, à l’aide de ces prodigieux engins qui emportent obélisques et châteaux, et de ces inclines qui suppriment les distances, n’eût en quelques années laissé aux Hellènes que la poussière de leur passé.

De quels ouvrages complets et de quels débris les Turcs devinrent-ils par la conquête possesseurs et dépositaires ? Dans quel état les trouvèrent-ils ? qu’en ont-ils fait ? Un certain Cabasilas d’Acarnanie, visitant la ville d’Athènes vers la fin du XVIe siècle, fut ravi d’y trouver le Parthénon tout entier et dédié au Dieu inconnu de saint Paul, la plus grande partie du temple de Jupiter olympien, qu’il appelle « un palais revêtu de grands marbres et soutenu par des colonnes, » et la porte lui donnait accès de la ville de Thésée à celle d’Adrien. Les Turcs occupaient l’Acropole, et les chrétiens étaient répandus, dans la plaine. Les trois édifices vus par Cabasilas n’étaient pas les seuls. Il y faut joindre, sans noter les ruines de médiocre importance, l’Erechteum, les colonnes des Propylées, la Pynacothèque moins son toit, le sacellum de la Victoire aptère, et en descendant, le temple de Thésée, atteint seulement dans ses sculptures, la Stoa d’Adrien, la porte de l’Agora, la Tour des Vents et le monument chorégique de Lysicratès. Voilà pour Athènes. À Égine et à Phigalie, deux grandes et belles ruines dormaient dans le silence, loin des routes frayées, et à leurs pieds, la terre discrète cachait le trésor de leurs bas-reliefs qui ne devait reparaître à la lumière dans notre siècle que pour être pillé. On le voit, jamais la guerre n’avait fait à des vainqueurs un tel lot de curiosités inestimables.

Les Turcs ne sont pas des Vandales sans doute, mais ils sont loin d’être des artistes, et la Grèce ne fut pas long-temps à s’en apercevoir. L’Attique, dont le sol est de marbre, fournissait amplement aux conquérans de la Grèce de quoi bâtir, puisque la ville moderne est sortie, à la lettre, des flancs de l’Hymette, du Lycabette et de l’Anchesme ; mais il eût fallu faire jouer le marteau et la mine. L’indolence des turcs trouva plus aisé quelquefois d’arracher aux édifices antiques des matériaux tout prêts et de les transformer en chaux ou en moellons. Les archéologues hellènes et la tradition les accusent d’avoir fait subir cet outrage au temple de Jupiter olympien, dont les quelques colonnes ne reproduisent plus en effet ce palais revêtu de grands marbres vanté par l’Acarnanien Cabasilas. On sait qu’un vaïvode se construisit sans façon une villa avec le pavé du temple de Thésée. Ce monument avait