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plaine, unique au monde, où rien alors ne me frappa, si ce n’est sa ressemblance accidentelle avec un marais, et j’atteignis les faubourgs de la nouvelle Athènes. Du fond de ma triste voiture, je n’entrevis, chemin faisant, aucun des aspects qui m’eussent consolé. La ville s’ouvrit par deux rangées de maisonnettes en bois dont j’eusse oublie volontiers la chétive apparence, si elles n’avaient eu l’impardonnable tort de me masquer à ce moment le temple de Thésée. Puis je suivis deux rues tout-à-fait européennes, sinon françaises, et je descendis un peu découragé. Du cap Malée au pied de l’Anchesme, où j’étais arrivé, qu’avais-je vu ? Rien absolument qui ressemblât à la Grèce, à ces charmans et lumineux horizons qu’on entrevoit en lisant Platon ou Homère.

Afin de secouer sur-le-champ les pénibles impressions d’une telle arrivée, je courus aux temples antiques. Cette fois, plus de mécomptes. En dépit du froid, du temps gris et du soleil éteint, je retrouvai, je reconnus la Grèce. C’était bien elle qui m’apparaissait enfin ; c’était bien là sa majesté sacrée. Heureux d’en retrouver de si magnifiques restes, je voulus m’expliquer ce prodige de durée. Je cherchai dès-lors quelle mystérieuse puissance avait protégé les monumens grecs jusqu’en 1453, et pourquoi ils avaient eu tant à souffrir sous la domination turque. Je cherchai surtout si les Hellènes faisaient pour la conservation de ces merveilles de sérieux efforts, et si l’histoire et l’art avaient gagné quelque chose à la régénération de la Grèce. À la suite des questions historiques venaient les questions d’esthétique, de philosophie même, et j’admirais cette harmonie mystérieuse des lieux et des édifices, de l’art et de la nature, qui pour la première fois se révélait à mes yeux charmés. Mon séjour à Athènes fut en grande partir consacré à débattre ces curieux problèmes qui s’étaient posés à mon esprit dès ma première visite au Parthénon. Si aujourd’hui j’essaie encore de les résoudre, c’est que des documens nouveaux m’y ramènent, et m’offrent dans les monumens d’Athènes l’occasion d’apprécier les travaux et les recherches de la Grèce moderne sur les chefs-d’œuvre de la Grèce antique.


I

L’histoire des monumens grecs comprend trois périodes bien distinctes : d’abord la longue suite de siècles qui précède la domination turque ; — puis la période de quatre cents ans pendant laquelle le joug musulman a pesé sur la Grèce ; — enfin la période de l’indépendance, celle qui doit nous occuper surtout. La première époque peut être regardée, pour les chefs d’œuvre de l’art grec qui se voient encore aujourd’hui, comme une époque heureuse. Devant la calme et simple majesté des marbres d’Athènes et de Corinthe vinrent s’incliner tour à tour les têtes les plus illustres et les plus fières. De la part des hommes