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Jacquot, Lemaire et Seurre, couronnés par la quatrième classe de l’Institut, jouissent aujourd’hui d’une très légitime obscurité ; M. Barye, repoussé après cinq années d’épreuves laborieuses, a trouvé moyen d’attirer, d’enchaîner l’attention. Quelle mémoire obstinée se souvient aujourd’hui des femmes lourdes et lascives, couvertes de colliers et de bracelets, envoyées au Louvre par M. Jacquot, et de ses portraits en pied de Louis-Philippe, dont le manteau royal ressemblait à une chape de plomb ? Où sont les admirateurs du fronton de la Madeleine ? Je laisse aux érudits le soin de découvrir les œuvres de M. Vatinelle. Quant aux œuvres de M. Seurre jeune, je n’ai jamais ouï dire qu’elles aient soulevé aucune discussion. Insignifiantes et vulgaires, elles ne blessent les principes d’aucune école, et sont protégées par l’indifférence.

M. Barye eût-il agi sagement en s’obstinant à concourir pour le prix de Rome ? Je ne le pense pas. Sans doute, les musées d’Italie lui auraient enseigné en peu d’années ce qu’il a dû apprendre plus lentement en demeurant dans notre pays ; mais je ne crois pas cependant que nous devions regretter l’échec qui l’a retenu parmi nous, car les neuf dixièmes des lauréats revenus d’Italie sont aujourd’hui parfaitement oubliés, parfaitement ignorés, et le nom de M. Barye est répété par ceux qui admirent son talent sans l’analyser et par ceux qui trouvent dans l’analyse même une raison nouvelle de l’admirer. Les vices de l’école de Rome ont été trop souvent démontrés pour qu’il soit besoin d’y revenir. Chacun sait en effet que la plupart des lauréats, une fois arrivés dans la ville éternelle, se considèrent comme ayant touché le but. Par cela seul qu’ils ont été couronnés, ils savent tout ce qu’il est possible de savoir. Ils ne voient pas dans la pension qui leur est accordée un encouragement à mieux faire, mais une récompense pour la science complète qu’ils ont acquise. Aussi combien y en a-t-il qui mettent à profit leur séjour en Italie ? il serait trop facile de les compter. Malgré les épreuves qui leur sont imposées, malgré les ouvrages qu’ils envoient chaque année pour obéir au programme de l’Académie, le loisir est à leurs yeux le premier de leurs droits ; et, quand ils reviennent en France, ils s’étonnent que les travaux ne leur soient pas distribués avec empressement ; ils trouvent singulier que l’état ne leur confie pas toutes les chapelles qui attendent une décoration. Il est probable que M. Barye, envoyé à Rome par la quatrième classe de l’Institut, ne se fût pas engourdi, comme tant d’autres, sous le soleil d’Italie. Cependant je crois que son échec académique a été pour lui un puissant aiguillon. Une fois convaincu qu’il ne devait rien attendre de ce côté, que les juges chargés de prononcer sur l’avenir des élèves ne lui donneraient jamais cinq années de sécurité, d’indépendance, il s’est remis au travail avec une nouvelle ardeur, et la sévérité de l’Académie lui a peut-être été plus utile qu’une couronne.