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moment de reprocher de l’ambition à qui ne demande encore que le rétablissement de la concorde.

Le général Cavaignac a pris la parole pour répondre à M. de Falloux. Celui-là aussi est un homme honnête et sévère avec lui-même ; il y a de ces sentences qui tombent involontairement des lèvres et qui peignent un caractère. « J’improvise quelquefois mes phrases fort mal, disait-il l’autre jour de sa voix brève et sourde, mais je n’improvise pas mes idées, et quand je dis quelque chose, c’est que je le sens, et je suis toujours prêt à le soutenir et à le répéter. » C’est bien là réellement l’honneur, mais c’est en même temps le mauvais sort de la nature du général Cavaignac ; ç’a été la dignité de sa fortune imprévue, et ç’a été la cause de sa chute. Il a les idées à la fois inflexibles et courtes. Il met toute la fierté de sa conscience à les pousser à bout. La raideur de son intelligence mathématicienne pèse sur ses raisonnemens et sur sa conduite comme une fatalité. Il s’enchaîne lui-même et se tient pour bien enchaîné. Il se heurte à mille contradictions, mais il faut qu’il se heurte dans l’étroit espace où il renferme toute sa politique et toute sa logique ; il se heurte donc et se résigne stoïquement plutôt que d’allonger sa chaîne. Nous avons été constamment dans les rangs opposés au général Cavaignac, mais nous ne l’avons jamais nommé qu’avec une sincère estime, et dans cette estime il y avait quelque chose du respectueux intérêt qu’on sent toujours pour ces esprits laborieux et malheureux qui font eux-mêmes leur martyre. Lisez le discours du général sur la révision, et dites si ce n’est pas là le martyre dont je parle. Tout est dans ce discours rigueur algébrique, et tout y est inconséquence flagrante. Il pose en principe que la monarchie est trop faible par essence pour avoir le droit de ressusciter, et il admet comme une sorte de conclusion que la république ne sera jamais assez forte pour souffrir qu’on la discute. — Il croit que la discussion tuerait la république et tout gouvernement aussi bien qu’elle. Or, la constitution permet de discuter la république, et il ne veut point réviser la constitution. — Il professe la foi la plus absolue dans le suffrage universel ; mais cette foi est elle-même subordonnée à une autre qui est encore bien plus absolue. Le premier article de son symbole, c’est que la république était nécessaire de toute éternité. À quoi se résoudre, si le suffrage universel ne veut plus de la république ? Il prétend que la république, c’est le suffrage universel ; mais il n’en est pas moins prêt à sacrifier le suffrage universel à la république, qui n’existe pourtant que par lui. Comment sortir de ces défilés d’angoisse ? Le général Cavaignac se défend vainement d’être un adepte du droit divin ; il n’y a que par là qu’il se sauve : il n’appelle pas la doctrine par son nom, soit ; il y recourt et l’accepte sous forme de périphrase, « Il n’est pas possible, dit-il, que Dieu, qui savait ce qu’il faisait, ait laissé l’ordre politique dépourvu de tout principe, qu’il ait refusé, si je puis ainsi dire, l’émanation de sa pensée dans l’ordre des choses politiques. » Cela peut se dire, que l’honorable général en soit bien convaincu, cela s’est dit : il est un livre, et un beau livre, qui s’appelle la Politique tirée de l’Écriture sainte ; mais le gouvernement pour lequel Bossuet cherchait dans l’Écriture une émanation dirigeante de la pensée divine selon le langage du général Cavaignac, ce n’était pas la république : c’était la monarchie du roi Louis XIV. Voilà donc la république du XIXe siècle assise, à