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dedans. Nous savons autant que personne tout le mal qu’on peut causer en allant chercher l’autorité là où elle n’est pas constituée régulièrement et en prenant son point d’appui dans le vide. Ce mouvement populaire est cependant si scrupuleux, si correct jusque dans ses vastes proportions, qu’on pouvait certes s’en aider davantage sans offenser les susceptibilités parlementaires ; on pouvait l’accepter sans embarras, comme la force la plus honnête et la plus sérieuse sous laquelle l’esprit public se fût depuis long-temps manifesté. On eût prévenu par cette franche acceptation la surprise dans laquelle on est tombé à la suite du vote sur la révision, lorsque l’animosité tracassière de M. Baze et l’amitié au moins maladroite de M. Larabit ont failli renverser le ministère à propos du pétitionnement. Il n’a presque pas semblé dans le cours des débats, et même à entendre les partisans de la révison, que le pétitionnement fût tout ce qu’il est en réalité, une solennelle et sincère déclaration de l’état de la France. On s’en est trop tenu à des considérations plus purement politiques ; on a demandé la révision, celui-ci parce qu’elle amenait la monarchie, celui-là parce qu’elle empêchait une réélection inconstitutionnelle du président ; on a voté contre la révision, parce que voter contre elle, c’était maintenir la république, ou tout au moins empêcher le président actuel d’être constitutionnellement réélu, parce que c’était ouvrir la voie à d’autres candidatures. Tous ces objets des principales préoccupations parlementaires ne viennent évidemment qu’en seconde ligne aux yeux de la France. Nous l’avons expliqué bien des fois : elle veut la révision pour la révision, c’est-à-dire au bout du compte qu’elle veut qu’on commence par le commencement. Elle ne veut pas la révision pour se faire d’emblée monarchique ou républicaine, bonapartiste ou joinvilliste ; elle veut la révision pour avoir le moyen de se faire quelque chose. Quoi ? ce n’est pas encore de cela qu’il s’agit ; allons d’abord au plus pressé avant de décider quelle sera la couleur dont notre maison se pavoisera, ayons du moins de la place où mettre la maison. Cette place qu’il faut pour y bâtir, c’est le terrain neutre d’une autre constituante. Vienne celle-là, et nous verrons après. Le pays recevra de ses mains ce qu’elle lui donnera, et ce qu’il lui demande, ce n’est pas qu’elle lui donne telle ou telle forme de gouvernement, telle ou telle personne royale ou plébéienne, c’est qu’elle lui donne une loi qui, par un miracle peut-être, hélas ! impossible, ne soit pas issue d’un lendemain d’émeute.

Nous avons bien souvent constaté cette situation vraie du pays ; nous en avons retrouvé l’empreinte, le contre-coup dans les discours des orateurs qui ont discuté la révision. De quelque parti qu’ils soient, ils la sentent comme nous. Non, M. Dufaure ne se trompait pas, quand il soutenait que le pays en masse n’était ni antipathique ni sympathique à la forme de son gouverneraient, qu’il était uniquement à l’état d’indifférence, « qu’on ne serait jamais antipathique au gouvernement sous lequel on vivrait, on travaillerait, on prospérerait. » La singulière illusion de M. Dufaure, c’est de raisonner comme si ce précieux gouvernement était ou pouvait être contenu dans la charte de 1848, et qu’il dût suffire de la pratiquer à la lettre pour en tirer de si beaux fruits. Est-ce à dire maintenant que cette indifférence dont il argumente à sa guise ne soit elle-même qu’abâtardissement et misérable inertie ? M. de Falloux s’écriait avec désespoir : « Est-il possible que notre pays ne soit mûr ni pour la