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architecture. La coquetterie la plus exquise, les détails les plus charmans, ne dissimuleront jamais l’absence d’unité, et l’unité manque à l’œuvre de M. Duban. Rien de plus simple, rien de plus facile à comprendre : l’auteur de l’École des Beaux-Arts n’a jamais rien créé. Depuis qu’il manie le compas et l’équerre, il n’a jamais distingué l’imagination de la mémoire ; pour lui, inventer et se souvenir sont une seule et même chose. Il n’est donc pas étonnant que l’unité manque à tous ses travaux, car l’unité n’appartient qu’aux pensées librement conçues, librement écloses, librement épanouies. Conception, éclosion, épanouissement, trois faits que l’imagination peut revendiquer, et qui n’ont rien à démêler avec la mémoire. À cet égard, la renaissance est du même avis que l’antiquité.

Si de l’intérieur du Musée nous passons à l’extérieur, nous aurons un singulier spectacle. Je dis nous aurons, car les travaux sont encore enveloppés de charpente, et nous ne pourrons les voir librement que dans quelques mois ; mais les projets de M. Duban ne sont un mystère pour personne. Autant il s’est montré hardi à sa manière dans l’intérieur du Musée, autant il se montre timide dans la restauration des frontons qui font face au quai. Au lieu d’offrir aux jeunes statuaires l’occasion de prouver leur savoir et leur talent, il s’est borné à estamper les frontons achevés depuis long-temps pour obtenir des répliques. Un tel procédé se conçoit tout au plus lorsqu’il s’agit du portail d’une cathédrale : la tradition de la sculpture gothique est à peu près perdue, et pourtant il vaudrait mieux laisser libre carrière à la fantaisie de l’artiste en l’obligeant toutefois à respecter la donnée générale du monument ; car Notre-Dame de Reims, Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Rouen se recommandent par une étonnante variété, et jamais, dans la restauration de ces œuvres puissantes, l’estampage ne pourra suppléer l’invention. Pour la galerie qui unit le vieux Louvre aux Tuileries, un tel procédé se conçoit encore plus difficilement. M. Duban réduit la tâche des statuaires à la tâche d’un praticien. Ils mettront au point les modèles trouvés dans les greniers du Louvre, et devront s’estimer trop heureux d’être payés à la journée. Comment expliquer une telle pusillanimité après une telle audace ? Comment concilier une telle abnégation avec une telle hardiesse d’initiative ? Faut-il croire que M. Duban, ayant épuisé tous les trésors de son imagination dans la décoration intérieure du musée, s’est senti saisi d’une soudaine lassitude ? Je serais tenté de le penser ; après ce prodigieux enfantement, le repos lui était bien permis. À peine l’œil le plus attentif peut-il signaler çà et là quelques caprices inattendus, quelques œils-de-boeuf qui ne s’accordent pas précisément avec le style du vieux Louvre, et que rien ne motive. Les parties vermiculées sont rafraîchies avec un soin particulier, qui ne manquera pas de réjouir les badauds. La teinte sombre que le temps avait donnée à la pierre a disparu sous le grattoir, et c’est une bonne fortune pour ceux qui aiment les murailles neuves. Pour moi, je n’hésite pas à condamner sans restriction cette manie de rajeunissement ; c’est une niaiserie qui devrait être bannie de tous les programmes de restauration.

Ainsi, la décoration du Musée, incohérente au dedans, timide à l’extérieur, établit clairement l’insuffisance de M. Duban, et tous les vrais amis de l’architecture ont droit de regretter qu’il ait été chargé d’une tâche si délicate. Personne, je l’espère, ne m’accusera de parler légèrement, car j’ai pris la peine