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tant il y a de sobriété, de gravité dans l’ornementation. M. Labrouste comprend son art autrement que M. Huvé. S’il y a quelque puérilité dans les noms inscrits sur les murs de la bibliothèque, il faut se rappeler que la modicité de la somme allouée à l’architecte ne lui permettait pas d’exprimer sa pensée par des bas-reliefs, et lui tenir compte du goût exquis avec lequel il a décoré l’intérieur du monument. La Madeleine et le salon carré se transformeraient sans effort en salle de bal ; la bibliothèque Sainte-Geneviève, dépouillée des livres entassés sur les rayons, exprimerait encore l’austérité de sa destination. M. Labrouste a médité long-temps et ardemment sur les données, sur les devoirs, sur le but de son art. Il a compris la nécessité de réunir dans une étroite alliance le beau et l’utile, ou plutôt d’exprimer l’utile par le beau. Et en effet, dans toutes les parties de la bibliothèque, l’ornementation est toujours la très humble servante de l’usage assigné à la construction. Enlevez les tableaux du salon carré, de la salle des sept cheminées : où trouver un OEdipe assez pénétrans pour deviner la destination de ces deux pièces ? M. Labrouste embrasse d’un seul regard les deux élémens de l’architecture, qui ne peuvent être impunément séparés l’un de l’autre ; M. Duban, en croyant subordonner l’utilité à la beauté comme une donnée secondaire à une donnée capitale, ne réussit pas même à réaliser ce vœu que le bon sens désavoue, car la beauté, même dans les arts qu’on est convenu d’appeler arts d’imitation, ne peut être envisagée d’une façon égoïste. Dans la Vénus de Milo comme dans le Thésée, dans la Diane chasseresse comme dans le Gladiateur, la beauté des formes exprime la mollesse ou l’énergie, la souplesse ou la vigueur. La beauté si diverse de ces personnages offre un sens déterminé, c’est-à-dire, en d’autres termes, que la forme exprime la nature habituelle des mouvemens. Or, il n’est pas difficile de saisir l’analogie qui unit l’utilité et cette expression déterminée. Toute beauté qui ne repose pas sur un pareil fondement est une beauté capricieuse et incomplète.

À vrai dire, nous savions depuis long-temps à quoi nous en tenir sur le goût et l’habileté de M. Duban. L’École des Beaux-Arts de Paris disait assez clairement, assez nettement ce qu’il pouvait faire. Cette école, pour l’achèvement de laquelle l’état a dépensé une somme considérable, n’a pas de caractère déterminé. Le visiteur, en pénétrant dans la première cour, éprouve une impression singulière : il croit voir tout danser autour de lui. Tous les élémens de cet édifice sont en effet si étrangement disposés, que rien ne paraît occuper une place nécessaire. Je ne veux pas méconnaître les difficultés que présentait l’achèvement de l’École. La façade du château d’Anet, le fragment du château de Gaillon, conservés comme de précieux échantillons de la renaissance, devaient nécessairement gêner la liberté de l’architecte. J’ajouterai, pour n’être pas accusé d’injustice, que les travaux avaient été commencés par M. Huyot. Toutefois, malgré la façade d’Anet, malgré le fragment de Gaillon, malgré les travaux de M. Huyot, je suis pleinement convaincu que M. Duban, guidé par un goût sévère que par malheur il n’a jamais connu, pouvait faire de l’École de Beaux-Arts quelque chose de sensé. Or le monument qui porte aujourd’hui ce nom pompeux ne le justifie guère. Cette école, destinée à l’enseignement des arts du dessin, parmi lesquels l’architecture n’occupe certainement pas le dernier rang, envisagée sous le triple aspect du plan, de l’élévation et de la coupe, n’offre elle-même qu’un pitoyable enseignement. Distribution des salles, décoration