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de la tâche. Or M. Duban, en décorant le musée du Louvre, semble avoir oublié complètement la devise de son art. Je ne dis pas qu’il ait atteint la beauté à l’exclusion de l’utilité, je suis très loin de le croire, car la décoration qu’il a imaginée, malgré l’incontestable talent des hommes chargés de traduire sa pensée, ne contentera pas les esprits sérieux et ne séduira pas même la foule ignorante. Lors même que nous consentirions à oublier la destination du Musée, il nous serait bien difficile d’amnistier l’œuvre de M. Duban. Étant donné la destination du Musée, il est trop évident que l’utilité a été partout sacrifiée sans profit pour la beauté. D’ailleurs, pour tous ceux qui comprennent pleinement les devoirs et la mission de l’architecture, le beau n’existe pas sans l’utile. Église, palais ou forteresse, tout monument dont la forme ne révèle pas l’usage, dont la destination n’est pas indiquée dans les lignes générales, écrite avec précision dans les ornemens, est et sera toujours un monument bâtard, ou plutôt un monument avorté. Il faut que la richesse, le loisir et la puissance soient inscrits au front des palais, que l’église exprime le recueillement et la prière, que la forteresse révèle en signes éclatans le mépris du danger et la résistance désespérée. Sans parler des exemples sans nombre que l’antiquité nous fournit, des exemples plus récens, des exemples qui chaque jour frappent nos yeux, auraient dû éclairer M. Duban sur les dangers de la voie où il s’engageait. Pourquoi la Madeleine est-elle si généralement, si justement dédaignée ? C’est que rien dans ce monument ne révèle sa destination religieuse. C’est que cette parodie de la maison carrée de Nîmes, salle de banquet ou salle de bal, ne parle de prière ni dans ses lignes ni dans ses ornemens. Les caissons du plafond évoquent à l’envi les plus joyeuses ritournelles ; à peine le pied a-t-il foulé les dalles, que l’esprit, au lieu de monter vers Dieu, songe à la valse, aux quadrilles. Quant aux chapelles placées dans les bas-côtés, elles ne font pas partie de l’église ; ce sont des appliques nées du caprice et que le caprice pourrait effacer. Aussi l’œuvre de M. Huvé est et demeure parfaitement ridicule. Vainement invoquerait-il la nécessité où il s’est trouvé d’utiliser les travaux faits pour le temple de la Gloire. Bien que le plan commande à l’élévation, à la coupe, cependant, comme les travaux livrés à M Huvé étaient à fleur de sol, il n’était pas impossible de modifier le plan de Vignon et de transformer en église chrétienne le temple de la Gloire.

Un exemple, d’une nature toute diverse aurait dû dessiller les yeux de M. Duban. La bibliothèque Sainte-Geneviève, achevée l’année dernière par M. Henri Labrouste, répond parfaitement à sa destination. Bien que je n’approuve pas les myriades de noms inscrits au vermillon sur les murs de la bibliothèque, je rends pleine justice au talent fin et délicat, au rare bon sens qui éclatent dans toutes les parties de cet édifice. Le vestibule, qui d’abord paraissait obscur, s’éclaire de jour en jour à mesure que s’écroule la prison Montaigu. L’escalier ample et majestueux s’accorde bien avec le caractère du vestibule. Quant à la salle de lecture, elle me semble réunir toutes les conditions d’une œuvre à la fois utile et belle. L’espace divisé en deux voûtes jumelles soutenues par une charpente de fer offre un mélange d’élégance et de simplicité. La lumière, sagement distribuée, sans profusion comme sans avarice, prépare l’esprit à l’étude, à la réflexion. Lors même que les rayons seraient vides, chacun sentirait encore que cette salle n’est pas faite pour le plaisir, mais pour le recueillement,