Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la conception d’une œuvre savante et inattendue. Ils ne s’aperçoivent donc pas qu’en prodiguant la louange pour une tâche qui n’exigeait que du bon sens et de la docilité, ils le déclarent implicitement incapable d’imaginer un monument, une décoration dont le type n’existe nulle part ? Ce n’est pas la première fois que l’amitié, dans son imprudence, joue le rôle de l’ironie ; mais je dois avouer qu’il lui est arrivé rarement de pousser aussi loin la témérité de son zèle.

Les peintures de la voûte n’ont pas été traitées avec le même respect que les murs de la galerie. MM. Guichard et Muller ont interprété les débris qui leur étaient confiés avec une liberté capricieuse. Je n’ignore pas et personne n’ignore que le rajeunissement d’une peinture à demi effacée présente de nombreuses difficultés. Parfois l’artiste chargé de cette tâche en est réduit aux conjectures, et ne trouve, dans les contours respectés par le temps, qu’un guide insuffisant et problématique. Tout cela est parfaitement vrai ; cependant, quelle que soit la délicatesse d’une telle œuvre, l’artiste qui l’accepte n’est jamais autorisé à méconnaître la pensée, à dénaturer le style de l’inventeur. Or, c’est là précisément ce que M. Guichard a fait plus d’une fois. Je suis loin de prendre Lebrun pour un peintre du premier ordre. Je ne pense pas que les Batailles d’Alexandre se placent entre les chambres du Vatican et la voûte de la chapelle Sixtine. Je reconnais volontiers que les gravures d’Audran donnent de Lebrun une idée que les originaux sont loin de justifier. Toutefois personne ne peut méconnaître dans ce peintre privilégié un bon sens qui ne l’abandonne jamais, une harmonie qui permet à l’œil du spectateur d’embrasser sans effort l’ensemble de ses compositions. M. Guichard ne paraît pas avoir compris la nature toute spéciale des qualités qui recommandent ce maître, plus adroit que fécond. Il a voulu nous prouver qu’il ne comprend pas la couleur à la manière de Lebrun, et la preuve, hélas ! n’est que trop complète. Je ne l’accuse pas de servilité, personne ne lui reprochera d’avoir suivi aveuglément les traces de son modèle : je l’accuse d’avoir méconnu le bon sens, d’avoir méconnu l’évidence, d’avoir substitué sa pensée à la pensée de Lebrun, d’avoir voulu nous montrer comment il conçoit le programme accepté par Lebrun, au lieu de se renfermer dans les limites posées par le maître et d’interpréter avec sagacité, sans timidité comme sans caprice, les indications que le cours des âges n’a pas détruites. En pareil cas, en effet, il ne s’agit pas d’inventer, mais de retrouver, et c’est pour avoir méconnu cette distinction, qui n’a rien de subtil, que M. Guichard a manqué le but. À vrai dire, je crois que M. Duban s’était trompé en choisissant M. Guichard ; je crois qu’il n’avait pas consulté avec assez, d’attention ses antécédens. Néanmoins, malgré les objections que soulève le passé de M. Guichard, je pense que, soumis à un contrôle sévère, il aurait pu faire mieux qu’il n’a fait. Abandonné sans réserve à tous les caprices de son imagination, qui n’a jamais étonné personne par sa fertilité, il a mis sous le nom de Lebrun les contours et les tons dont il avait composé son Rêve d’amour. Il a dénaturé, en essayant de les compléter, les débris qui lui étaient confiés. Il eût agi plus sagement en refusant la tâche qui lui était proposée. Puisqu’il ne voulait pas se résigner à suivre docilement la pensée de Lebrun, il devait se récuser. Il me répondra peut-être que des exemples nombreux justifient son indocilité. Peut-être citera-t-il comme un argument victorieux