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riche imagination. Le poirier déguisé en ébène qui encadre ces écrans et qui règne à hauteur d’appui tout autour du salon fait le plus grand honneur aux ébénistes chargés de le sculpter. Le chambranle des trois portes, taillé dans le même bois, imprime à la décoration une sévérité quelque peu funèbre qui n’est pas dépourvue d’agrément. Le canapé placé au milieu du salon, égayé par la même couleur, n’est pas sans analogie avec un catafalque, et je m’explique très bien l’innocente espièglerie des jeunes gens qui viennent au Louvre étudier les secrets de leur art en copiant les œuvres des grands maîtres : ils ont exprimé à leur manière ce qu’ils pensent de M. Duban ; en traçant à la craie sur le bois du canapé des larmes destinées à compléter cette décoration funèbre. Cette raillerie, digne de leur âge, exprime très fidèlement l’impression produite par le salon carré sur tous les esprits délicats. La méprise est si complète, que la discussion ne sait où se prendre. La somme gaspillée dans cette œuvre sans nom peut seule encourager la réprimande.

La décoration de la salle dite des sept cheminées, je me plais à le reconnaître, n’est pas traitée sans élégance. Cependant cette décoration laisse beaucoup à désirer. M. Duret, chargé d’exécuter les figures qui ornent la voûte, a fait preuve d’un talent que j’aurais mauvaise grace à contester. Il est certain que l’auteur de ces figures manie l’ébauchoir avec adresse. Toutefois les Victoires ailées qu’il a modelées pour la salle des sept cheminées sont loin de défier la critique. Je ne veux pas nier l’élégance générale qui les caractérise ; il est certain qu’il y a dans ces figures une précision, une harmonie linéaire que tous les yeux clairvoyans découvrent au premier aspect. Pourtant ces Victoires mêmes, si élégantes et si précises dans leurs contours, soulèvent plus d’une objection. Les fragmens rapportés d’Athènes par les derniers explorateurs nous ont appris comment la Grèce comprenait les figures ailées, et ces fragmens sont empreints d’une telle beauté qu’il n’est pas permis d’en méconnaître l’autorité. Nous possédons à Paris, à l’École des Beaux-Arts, plusieurs débris du temple de la Victoire aptère placé à l’entrée des Propylées. M. Duret connaît parfaitement ces débris et s’en est inspiré. Il suffit de les avoir contemplés une seule fois pour demeurer convaincu qu’il ne les ignore pas. Il serait parfaitement absurde de lui reprocher les conseils qu’il a demandés à ces ruines éloquentes. L’antiquité, et surtout l’antiquité grecque, est tellement riche en leçons, qu’on ne l’interroge jamais sans fruit. Le reproche que je lui adresse est de tout autre nature : si M. Duret, au lieu de regarder pendant quelques minutes les débris du temple de la Victoire aptère, les eût regardés pendant quelques heures, il n’eût pas commis la méprise que je suis obligé de relever. Les figures qu’il a modelées pour la salle des sept cheminées, malgré les ailes attachées à leurs épaules, manquent de légèreté. Pourquoi ? C’est que les draperies sont faites de laine au lieu d’être faites de lin. Or, ce défaut, je pourrais dire ce contre-sens, ne se rencontre pas dans les fragmens qui nous ont été rapportés d’Athènes. Les débris décapités placés à l’École des Beaux-Arts sont drapés de lin, et cela se conçoit. Une figure qui veut lutter de vitesse et de légèreté avec les oiseaux doit, en effet, répudier la laine comme un vêtement trop lourd et choisir le lin, si elle ne choisit pas la nudité. M. Duret ne paraît pas avoir compris les obligations que lui imposait la nature même des figures qu’il avait entrepris de modeler. Il a jeté sur les épaules et sur les hanches des Victoires des draperies qui seraient à grand’peine portées