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de baisser la tête devant le prêtre et de s’agenouiller devant un maître invisible qu’on leur apprenait à redouter comme un juge. L’église, aux yeux de la foule, devenait un lieu extra-terrestre, ou se révélaient, dès cette vie, toutes les joies promises aux élus ; on y trouvait la représentation du séjour des bienheureux, et l’impression était si profonde sur ceux mêmes que n’avait point encore régénérés le baptême, que Clovis, en entrant pour la première fois dans la cathédrale de Reims, demandait à ses Francs si c’était là ce paradis qu’on lui promettait au nom du Dieu de Clotilde.

En défendant aux guerriers barbares, si fiers de leur courage, d’entrer en armes dans le sanctuaire, l’église leur apprenait qu’elle ne reconnaissait pas l’empire de la force. Elle leur apprenait également dans les cérémonies religieuses, par l’ordre établi entre les assistans, qu’il n’y avait pour elle ni vainqueurs ni vaincus, ni Francs ni Romains, ni serfs ni hommes libres, mais seulement des fidèles, et que parmi les fidèles il n’existait nulle autre distinction que celle qu’elle établissait elle-même par la hiérarchie d’une aristocratie purement morale. En effet, une fois entrés dans le temple, l’inégalité sociale disparaissait entièrement entre les hommes de diverses classes. Il n’y avait plus que des chrétiens, des catéchumènes et des pénitens, et de la sorte, dit avec raison M. Guérard, « l’homme faible, si peu protégé par la loi, voyait souvent placé derrière lui et à un rang inférieur l’homme puissant dont il avait souffert l’oppression. »

Les institutions ecclésiastiques ne contribuaient pas moins que les cérémonies religieuses à affermir l’autorité de l’église. La pénalité canonique était au nombre des plus puissans moyens d’influence dont disposait l’église. Au nombre des peines canoniques, il en est une sur laquelle nous avons des idées généralement fausses : je veux parler du refus de sépulture. Le refus de sépulture a été souvent invoqué par l’école du XVIIIe siècle comme une preuve de la dureté et de la barbarie de l’église, et cependant c’était là, au moyen-âge, la seule arme qu’elle pût employer contre l’endurcissement des grands coupables. Elle ne connaissait, en effet, ni les supplices, ni les amendes, ni les confiscations, ni l’exil, attendu que pour elle il n’y avait point d’exil possible son royaume s’étendait sur toute la terre. Il fallait donc, pour ceux qui ne s’étaient point humiliés sous la pénitence, pour ceux qui s’étaient, jusqu’au dernier terme de leur vie, obstinés dans le mal, pour ceux mêmes qui échappaient à la justice des hommes, un châtiment plus grave et plus terrible que tous ceux qu’infligeait cette justice elle-même, justice incomplète, impuissante, qui transigeait avec le crime en l’absolvant à prix d’argent, ou qui le laissait impuni, faute de pouvoir l’atteindre. L’église ne transigeait pas, et elle atteignait toujours les coupables, même après la mort, en repoussant de la terre bénie