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il conçut l’idée dans les salles mêmes de l’Hôtel-Dieu, peut se comparer aux plus belles institutions de la charité évangélique, comme la mort de M. Affre peut se comparer aux plus belles morts de l’antiquité chrétienne. Sceptique ou croyant, quand on garde au fond du cœur la sympathie des grandes choses, on s’incline avec respect devant ces nobles exemples, et on sent qu’il reste dans cette société flétrie, malade d’égoïsme, un principe supérieur où quelques ames d’élite peuvent puiser encore l’abnégation et le dévouement.


III

Nous connaissons la constitution et l’histoire de l’église de Paris. Le Cartulaire, qui nous montre cette histoire sous un nouveau jour, nous permet aussi d’apprécier plus nettement les diverses phases qu’a traversées l’influence du clergé sur les affaires civiles. Au moyen-âge, le clergé n’était point seulement puissant, il était aussi populaire, et quand on voit de nos jours combien il est difficile d’accorder la popularité et la puissance, on est forcé de reconnaître qu’il y a là un problème historique dont il faut chercher la solution en dehors des conditions politiques et morales de la société moderne. C’est à cette solution que s’est attaché M. Guérard dans la partie générale de son travail. La popularité du clergé une fois constatée, l’éditeur du Cartulaire en trouve les causes : d’abord dans les cérémonies du culte, puis dans les institutions ecclésiastiques, enfin dans la conduite de l’église envers le peuple.

Les cérémonies du culte étaient tout à la fois pour la foule un spectacle et un enseignement. La célébration des offices formait comme un drame en plusieurs actes dans lequel l’intérêt allait toujours croissant. L’ordre des cérémonies, les parfums de l’encens, les fleurs et les herbes qui jonchaient le pavé du temple, la richesse des ornemens, exerçaient sur les yeux une sorte de fascination. La langue latine était encore comprise de la plupart des assistans, qui pouvaient ainsi pénétrer le sens le plus intime des prières. Les chants sacrés surtout présentaient un grand charme pour la multitude et ces chants, seule poésie des âges de foi, étaient devenus tellement populaires, qu’on les répétait dans les festins, et que les litanies avaient remplacé sur le champ de bataille l’antique bardit des populations germaniques. L’émouvant spectacle des pompes chrétiennes avait succédé aux jeux féroces du cirque, aux jeux obscènes du théâtre, et la foule se portait avec tant d’empressement dans les temples, que, pour faire participer tous les fidèles à la célébration des mystères, on réitérait le sacrifice de la messe au fur et à mesure que les églises se remplissaient de nouveaux assistans, Les guerriers étaient contraints, par une force en quelque sorte surhumaine,