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directement la conduite de l’homme dans la société et la vie pratique, et ses Traités des Mœurs, des Lois et des Vices le placent au premier rang des moralistes du moyen-âge. Mêlé aux plus importantes affaires politiques de son temps, il déposa Pierre, duc de Bretagne, qui s’était allié au roi d’Angleterre Henri III, et, dans l’entrevue que le pape Innocent IV et saint Louis eurent à Cluny en 1245, entrevue où fut discutée la question d’une croisade, il eut la sagesse de détourner le roi de France de cette entreprise. D’utiles établissemens furent, par ses soins, fondés dans le diocèse, et il s’occupa avec un grand zèle d’arracher au vice les femmes, déjà trop nombreuses de son temps, que les séductions de la grande ville avaient entraînées dans une vie coupable. Singulière époque que ce moyen-âge ! mélange bizarre de barbarie et de pitié ! On brûle les hérétiques ; chaque année, le jour du vendredi-saint, en certaines villes, on lapide un Juif par devoir de conscience, et à côté de ces cruautés on trouve une charité infinie, dont le secret semble à jamais perdu dans la civilisation moderne !

À partir des dernières années du XIIIe siècle jusqu’au commencement du XVIe, l’église de Paris fut, à de rares exceptions près, pacifiquement gouvernée par ses évêques, et ce que disent les bénédictins de Simon Matifas, subditos suos magna cum tranquillitate rexit, peut s’appliquer à presque tous ses successeurs. Durant cette période, la plupart des prélats parisiens furent en même temps théologiens et jurisconsultes, et, en cette double qualité, ils prirent part simultanément à la direction des affaires de l’église et de l’état. Matifas, Pierre d’Orgemont, remplirent avec une grande habileté les fonctions de conseillers du roi ; Pierre de La Forêt, en 1350, fut chancelier de France. En maintes circonstances, ces évêques se montrèrent remplis de prudence et de sagesse. Leur intervention dans la politique fut presque toujours salutaire, et, quand Paris tomba aux mains des Anglais, ils restèrent fidèles à la cause nationale, témoin le Normand Jean de Courtecuisse, surnommé par ses contemporains le docteur sublime, qui se consolait de l’animosité de Henri V en traduisant le traité de Sénèque sur la Vertu. Ce sentiment de patriotisme mérite d’autant plus d’être remarqué, qu’à cette époque les Parisiens, nobles ou bourgeois, semblaient avoir oublié la France, et qu’ils étaient devenus très bons Anglais, comme plus tard, pendant la ligue, ils devinrent très bons Espagnols.

Malgré les désastres de toute espèce, malgré les déchiremens de la guerre civile et de la guerre étrangère, le XIVe et le XVe siècle furent pour l’épiscopat parisien des époques glorieuses et paisibles. Au milieu des troubles qui agitèrent le XVIe siècle, troubles civils ou religieux, les évêques de Paris montrèrent une grande modération, et la violence fut en général concentrée dans les rangs inférieurs du clergé.